Imaginez une entreprise dont l'image est écorchée chaque jour dans les médias. Une entreprise qui se relève d'une dure faillite, menacée de disparaître d'un mois à l'autre. Une entreprise qui a perdu la confiance de ses clients et qui n'a pas un sou à dépenser pour se refaire une image.

Vous lui donnez votre argent?

Évidemment pas. Et pourtant, c'est ce qu'ont fait près de 34 000 personnes ces derniers mois en s'abonnant au service BIXI, un nombre plutôt impressionnant dans les circonstances.

C'est une baisse par rapport à l'an dernier, dites-vous? Mais bien sûr! Y a-t-il quelqu'un qui s'attendait à une hausse des abonnements à un service qu'on présentait en début de saison comme la onzième plaie d'Égypte?

Pour juger les chiffres présentés hier par le conseil d'administration de BIXI, il faut se remettre dans le contexte de l'automne dernier.

La situation politique et financière du service était de nature à décourager le plus cycliste des urbains! Pour le Montréalais moyen, qui ne lit pas cinq quotidiens par jour, il était loin d'être clair que l'administration Coderre garantissait l'intégralité de la saison 2014.

Ajoutez à cela une météo exécrable, une tempête de neige ayant même sévi la veille du lancement de la saison. Et ajoutez des problèmes informatiques majeurs chez BIXI, qui peinait à reprendre le contrôle du site web jusque-là sous-traité.

Il était alors impossible de s'abonner en ligne! Pendant un mois! En début de saison!

Dans un tel contexte, une pluie de grenouilles aurait été moins surprenante qu'une hausse du nombre d'abonnements...

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Tous les yeux sont rivés sur le BIXI, cette saison. Ceux des contribuables, pour voir si le service leur coûtera un bras de plus. Ceux des journalistes, pour voir si le système demeure opaque. Et ceux du maire Coderre, pour voir si les Montréalais l'apprécient assez pour qu'il se porte à son secours définitivement.

Mais dans le fond, l'année 2014 du BIXI ne nous indiquera rien du tout. Ce n'est pas tant la 6e saison d'un service mature que la toute première d'un service que l'on tente de relancer à partir de presque rien.

La saison 2014, autrement dit, ne devrait pas tant être un étalon qu'une simple année atypique. BIXI ressemble en effet cette année à une «start-up», pour reprendre l'expression de la vice-présidente du conseil d'administration, Sylvia Morin.

Le nouveau C.A. a simplement hérité d'une flotte de vélos pour laquelle il devait créer une toute nouvelle structure, embaucher du personnel, mettre sur pied un service à la clientèle, opérer un service informatique, trouver un local, déménager les serveurs informatiques, rapatrier le site web, etc.

Parallèlement, l'administration Coderre a dû appeler in extremis les commanditaires pour les implorer de demeurer en selle, ce qui impliquait une baisse importante des sommes reçues.

«La priorité en début de saison était que les vélos roulent efficacement, a indiqué Suzanne Lareau, patronne de Vélo Québec et membre du conseil de BIXI. On n'avait donc pas le temps et les ressources pour faire du marketing.»

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Les chiffres d'abonnements dévoilés hier montrent donc, tout au plus, un attachement pour le service de vélo, mais ils ne justifient pas que le maire Coderre s'engage dès maintenant à maintenir le BIXI à long terme, comme le pense Projet Montréal.

La Ville a encore du temps devant elle. J'ai beau être enthousiasmé par ce service, je vois bien que rien ne justifie une décision précipitée. Le maire peut attendre les recommandations du conseil d'administration, attendues à la fin de la saison.

Il aura alors une meilleure idée des finances de BIXI grâce au budget pro forma 2015, et il saura combien la Ville devra payer chaque année pour exploiter le service.

Car ne nous contons pas d'histoires: il y aura un montant annuel à payer pour maintenir le BIXI, qui ne sera jamais «rentable». Et c'est très bien ainsi.

Il y aura un déficit d'exploitation à éponger, c'est écrit dans le ciel, comme c'est le cas pour l'écrasante majorité des services de vélo-partage dans le monde. Après tout, il faut le voir comme un service public au même titre qu'une piscine publique, une bibliothèque ou un circuit d'autobus.

Est-ce que les déplacements à BIXI coûteraient beaucoup plus cher à la Ville que ceux qui sont faits quotidiennement en métro et en autobus? Pas si on se fie à une analyse rapide qu'a faite pour moi le «dragon» Alexandre Taillefer, habitué à décortiquer de tels chiffres.

En se basant sur les données financières de 2012 (à utiliser avec précaution, mais ce sont les seules disponibles), il conclut qu'un déplacement fait dans le réseau de la STM coûte plus ou moins 1,44$ en subvention. Et à BIXI? De 0,34 à 0,91$. «La comparaison est tout à fait favorable et justifie, à mon avis, que la Ville envisage un tel investissement», dit-il.

Mais pour ce faire, le maire devra attendre de voir l'état réel des finances du BIXI cet automne, des données d'une plus grande utilité que les chiffres dévoilés hier.