Ouf! Les villes qui ont choisi de défusionner il y a 10 ans poussent aujourd'hui un soupir de soulagement.

Rappelez-vous, on avait tenté de les garder dans la ville centre en 2004 en leur promettant des pouvoirs et des budgets intacts. On avait dit aux Westmount, Kirkland et Dorval de l'île de Montréal qu'on ne puiserait pas dans leurs caisses, qu'elles continueraient à se gérer elles-mêmes, qu'elles jouiraient d'une certaine autonomie municipale.

Elles ne l'ont pas cru, elles sont parties... et elles s'en félicitent, depuis hier, tout particulièrement.

L'administration Coderre a en effet dévoilé une réforme qui bafoue les engagements pris à l'époque dans la foulée des référendums sur la défusion. Et au diable Outremont, Saint-Laurent, Saint-Léonard, L'Île-Bizard et Sainte-Geneviève, qui ont eu la mauvaise idée d'y croire et de rester à Montréal! Elles ne peuvent faire autrement que de passer à la caisse et de laisser filer une part appréciable de leur budget.

Fusionnez-vous, qu'ils disaient...

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Vu de l'extérieur, le plan Coderre-Desrochers est tout beau, tout propre, tout ordonné.

Sous prétexte d'«iniquité», il s'attaque au sous-financement des arrondissements moins bien pourvus. Il dresse une liste de paramètres objectifs (kilomètres de rues à déneiger, surface de gazon à tondre dans les parcs, superficie des bibliothèques, etc.), puis il revoit la distribution des transferts en conséquence.

La Ville donnait 990 millions, elle continuera à donner 990 millions, mais avec quelques ajustements ici et là. Beau, propre, ordonné.

Mais une ville n'est pas une multinationale, elle n'est pas composée de franchises standardisées dans lesquelles on retrouve les mêmes sièges, tables et machines à café. Ce sont des milieux de vie qui ont leur singularité, leurs habitudes, leur histoire.

Voilà pourquoi on avait décidé de maintenir les «budgets historiques» des anciennes villes, ces dernières années, pour respecter leurs particularités, leurs choix antérieurs, leurs sensibilités propres. Voilà pourquoi on avait suivi des critères similaires pour fixer le budget des quartiers centraux devenus arrondissements.

Certains recevaient ainsi des transferts plus importants que d'autres, ce qui se justifiait par un tas de raisons: le potentiel de développement est plus grand à Anjou qu'à Villeray, l'affluence des parcs est plus grande à Outremont qu'à L'Île-Bizard, les abrasifs pèsent plus lourd dans Ville-Marie qu'à Pointe-aux-Trembles. Bref, pour reprendre l'expression du maire Luc Ferrandez, le coût du centimètre de neige déblayé n'est pas le même sur le Plateau et à LaSalle.

Pour qui voit Montréal comme une fédération d'arrondissements forts, une mosaïque de quartiers et d'ex-villes, une telle situation n'a rien de choquant. Surtout si on crée un budget de péréquation susceptibles d'aider ceux qui en ont plus besoin quand d'autres prospèrent (je pense aux revenus que rapporte le CUSM à Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce).

Montréal est à juste titre un gouvernement, mais un local government, pour emprunter l'expression anglaise, plus juste que notre «collectivité locale». Cela implique une offre de services de proximité ajustée aux besoins locaux, forcément différents d'un endroit à l'autre.

Uniformiser bêtement en ramenant au même niveau les budgets du Plateau et de LaSalle (!), manier le rabot en supprimant 4 des 20 millions transférés à Outremont, passer le rouleau compresseur en éliminant 6 des 54 millions du Sud-Ouest revient à empêcher les arrondissements de cultiver leurs différences.

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Reste la question de la centralisation, que certains jugent excessive. On peut certes se demander pourquoi l'administration profite d'une réforme financière pour jouer dans les responsabilités des uns et des autres, mais on peut difficilement crier à l'excès.

La Ville veut certes rapatrier l'enlèvement des ordures, uniformiser le coût des permis et reprendre à son compte les dépôts à neige, mais il n'y a pas de quoi écrire à son maire (sous réserve des changements apportés au développement économique, pas clairs pour l'instant, sur lesquels MM. Coderre et Desrochers se contredisent).

Une fois la réforme implantée, les arrondissements pourront encore prendre les décisions importantes qui les concernent. Ils pourront moduler les tarifs des vignettes plutôt que ceux des parcomètres, continuer à nommer leurs directeurs d'arrondissement, gérer les rues locales et appliquer la réglementation d'urbanisme.

Une lourdeur bureaucratique pourrait s'ajouter dans certains dossiers précis, il est vrai. Plutôt que d'implanter des terrasses sur la chaussée en 30 jours, comme l'a fait le Plateau, par exemple, une demande devra être préalablement transmise à la ville centre.

Mais des gains pourraient, en revanche, être obtenus par un meilleur étalement des jours d'enlèvement des ordures et une gestion mieux coordonnée du déneigement.

En fait, la Ville aurait même pu aller plus loin sans nuire à la singularité des arrondissements, en centralisant les appels d'offres, par exemple, ou en regroupant les cours de voirie.

Après tout, les arrondissements et leurs pouvoirs ne sont pas des vaches sacrées qu'il ne faut plus jamais toucher jusqu'à la nuit des temps. Mais ils doivent être dotés des budgets nécessaires pour assumer les responsabilités qu'ils conservent.