Marcel Côté m'a téléphoné vendredi. Il était furieux. Furieux que j'aie publié les conclusions d'un rapport qu'il considérait comme «du grand n'importe quoi». Furieux que je n'aie pas compris combien le SLR était mauvais.

Il ne voulait pas être cité, il n'espérait pas que je me dédise, il voulait simplement en parler. De manière virile et directe, comme il l'avait fait si souvent dans le passé.

Du Marcel Côté tout craché. Un homme franc et abrasif, brillant et brouillon, généreux et cassant. Un homme dont tous les traits de caractère étaient une déclinaison de l'immense passion qui l'habitait, en tout temps et en toutes circonstances.

Dire que l'homme est un bâtisseur, une éminence grise, un philanthrope, un ami des arts, un grand Montréalais revient en fait à louanger cette ferveur qui le rendait attachant, mais surtout indispensable, tant au monde des affaires qu'à ceux de la culture, de la politique, du patrimoine, de tout ce qui grouille en ville.

Après son appel, vendredi, Marcel Côté devait d'ailleurs se rendre à la SAT, sur le boulevard Saint-Laurent, pour réfléchir à la revitalisation de la Biosphère. Non seulement a-t-il assisté à la rencontre avec sa fougue habituelle, mais il a produit dès le lendemain une analyse sur le devenir de cette icône architecturale. Une analyse pénétrante qu'il a envoyée à tous les participants, samedi soir à 21 h 41.

L'homme était partout, spécialiste de tout, passionné par tout, même dans les dernières heures de sa vie, qui s'est éteinte à 71 ans.

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La plupart des Montréalais l'auront connu, malheureusement, dans un contexte qui ne lui était pas favorable, celui de la politique active.

Marcel Côté était un homme de contenu, un multirécidiviste d'idées en tout genre, un essayiste, un penseur de la ville et de l'économie. Mais il n'était pas, hélas, un politicien.

Ma collègue Lysiane Gagnon a vu juste en le qualifiant de «meilleur maire que Montréal n'aura pas eu». L'économiste n'était pas de l'étoffe des hommes d'État, mais de celle des éminences grises. Il a d'ailleurs oeuvré auprès de certains premiers ministres.

Il a ainsi terminé quatrième lors de l'élection municipale de 2013... mais aussi de l'élection provinciale de 1973, avec l'Union nationale.

Le feu des projecteurs ne sied pas, manifestement, à un homme qui a 60 idées à la minute, qui dit tout haut ce que d'autres pensent tout bas, qui n'est jamais dans le calcul, mais toujours dans l'intensité.

«Marcel aura toujours vécu de face, jamais de côté», m'a joliment dit l'ancien maire Laurent Blanchard.

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Certes, Marcel Côté n'a pas réussi à devenir maire de Montréal, mais il était déjà, officieusement, président du conseil d'administration de Montréal...

«Au-delà de tout ce qu'il a fait, Marcel Côté était membre du conseil d'administration de la ville. Il était actionnaire de Montréal. Un rôle, un devoir citoyen qu'il a toujours pris très au sérieux», m'a fait remarquer Dinu Bumbaru, d'Héritage Montréal.

Marcel Côté n'était pas un homme enragé; il était, résolument, hardiment, un homme engagé pour le bien de la métropole, de son économie, de sa culture, de son patrimoine, de ses gens.

Il avait des engagements plus visibles - la fondation de SECOR, par exemple, la publication de rapports influents, ses fonctions d'administrateur de sociétés; son rôle, plus récent, de conseiller du maire Coderre.

Mais ceux qui le connaissent plus intimement soutiennent que son véritable rôle de bâtisseur, il l'a assumé en coulisse, loin des feux de la rampe.

Tous ces conseils d'administration qu'il a bénévolement fait profiter de son expertise. Toutes ces associations communautaires auxquelles il a donné un sérieux coup de main. Tous ces ministres et décideurs qui recherchaient constamment ses paroles. Tous ces entrepreneurs et artistes qui ont profité de sa vaste connaissance de la chose économique, politique et urbaine.

C'est d'ailleurs ce qui lui avait permis, en juillet dernier, de se présenter à la mairie en véritable rassembleur, avec une authentique coalition d'intérêts, d'allégeances et de milieux différents. Il y avait évidemment les élus de Vision Montréal, quelques anciens d'Union Montréal. Il y avait Louise Harel. Et il y avait, pour l'appuyer, une foule de personnalités, de Phyllis Lambert à Caroline Néron en passant par Éric Fournier, Marie Chouinard et Alexandre Taillefer.

En disparaissant aussi soudainement, Marcel Côté laisse dans le deuil sa famille et ses amis, mais aussi Montréal, qui perd un de ses grands bâtisseurs. Un bâtisseur de l'ombre.