Le temps d'une courte cérémonie, les automobilistes ont cessé de rouler sous le viaduc Saint-Denis, hier matin. Des centaines de cyclistes ont alors investi les lieux en toute sécurité, révélant par leur présence les déficiences de ce viaduc trop sombre, étroit, dangereux.

Puis ils ont accroché un vélo peint en blanc sur le garde-corps pour rendre hommage à Mathilde Blais, morte tragiquement la semaine dernière sur un BIXI qu'«elle était contente de retrouver après l'hiver», selon les mots de sa mère, lus à voix haute.

Une cérémonie poignante, touchante, essentielle. Mais le «vélo fantôme», lui, était-il nécessaire? L'insécurité générale des cyclistes est-elle vraiment en cause?

J'avoue ne jamais avoir aimé cette tradition américaine qui consiste à peindre un vélo et à le cadenasser à l'endroit où un cycliste est mort, comme on l'a fait l'an dernier dans la rue Wellington, pour attirer l'attention sur les problèmes de sécurité des cyclistes. Pas plus que le Tour du silence, organisé annuellement pour des raisons similaires.

Par leur visibilité et leur permanence, ces événements envoient un bien curieux message au moment où l'on tente d'accroître la popularité des déplacements actifs, surtout auprès des non-initiés: rouler en ville est un risque, voire un péril...

Or, s'il y a effectivement plusieurs problèmes touchant la sécurité des vélos à Montréal, il n'y a pas, comme tel, de problème de sécurité des vélos à Montréal. La nuance est capitale.

Le caractère poussiéreux du Code de la sécurité routière, discriminatoire à l'endroit des cyclistes, est un problème. L'ampleur toute relative du réseau cyclable, qui limite le recours à ce moyen de transport, pose aussi problème. Et les «tunnels de la mort» que sont ces viaducs mal aménagés, trop longtemps dénoncés, sont autant de problèmes criants.

Mais l'insécurité des cyclistes?

Le bilan routier diffusé vendredi dernier donne froid dans le dos: les contraventions remises aux cyclistes ont beau avoir explosé ces dernières années à Montréal, «une hausse marquée des cyclistes blessés grièvement a malheureusement été notée».

Preuve de cette «détérioration du bilan routier chez les cyclistes», selon le Service de police de la Ville de Montréal, «45 cyclistes ont été blessés gravement en 2013, contre 27 l'année précédente, une hausse de 67%»...

Or, ce pourcentage est trompeur. La police se sert d'une fluctuation annuelle pour noircir un portrait qui s'embellit depuis une décennie. Chaque année, plus de Montréalais utilisent le BIXI ou leur vélo comme moyen de transport, une hausse phénoménale qui ne se dément pas. Et pourtant, les tendances montrent une amélioration du bilan routier.

De façon générale, on constate en effet que le nombre d'accidents mettant en présence un cycliste est en diminution: de 824 en 2005, il est passé à 742 en 2013. Le nombre de morts est plutôt stable, oscillant chaque année entre trois et cinq (seule exception, l'an dernier, avec six morts).

Et le nombre de blessés graves montré du doigt par les policiers? Il a fondu de 51 à 2005 à 27 en 2012, connaissant une poussée inhabituelle l'an dernier seulement!

On se sert donc de ce qui ressemble à un accident de parcours pour faire peur au monde. Dans les faits, on observe à Montréal ce qu'on observe ailleurs: plus il y a de cyclistes sur les routes, moins il y a d'accidents impliquant des cyclistes.

Oui, il y a des problèmes de cohabitation. Mais c'est aussi grâce à cette cohabitation que la vigilance de chacun augmente et que les accidents diminuent, sauf dans certains endroits particulièrement dangereux...

Et pourtant, selon qu'on se trouve derrière un volant ou un guidon, la mort de Mathilde Blais aura été le prétexte pour montrer l'autre du doigt.

Chacun a ses torts, il est vrai. Mais l'accident tragique de la semaine dernière ne doit pas servir de prétexte à un énième débat sur les comportements sur la route ou sur les dangers de rouler à vélo à Montréal. Car ce qui est en cause, selon ce que l'on sait, c'est l'insécurité des tunnels qui passent sous la voie ferrée du Canadien Pacifique (CP). Point.

«Mathilde craignait le passage sous le viaduc où vous vous trouvez», a noté la mère de la disparue, hier. Une absurdité criminelle quand on sait le nombre de cyclistes qui transitent par ces viaducs avec les mêmes inquiétudes en tête depuis des années.

La Ville et les arrondissements concernés promettent de réaménager les secteurs problématiques. Tant mieux. Mais ils auront besoin pour ce faire d'un troisième acteur qui, lui, brille par son absence: le propriétaire du chemin de fer.

Le CP prétend le contraire. Il soutient «coopérer pleinement» avec les autorités locales. Mais c'est un mensonge. Et le début imminent d'un arbitrage forcé avec la Ville et les arrondissements le prouve.

Voilà donc vers quoi les projecteurs doivent être tournés pour l'instant. Car la sécurisation de ces viaducs trop longtemps négligés est la seule façon de donner un sens à la mort de Mathilde Blais.