Quand on pense au fiasco de l'aéroport de Mirabel, on pense aux expropriations, aux luttes populaires, aux contestations judiciaires.

On pense aux tractations politiques, aux visées d'Ottawa, aux objectifs des ministres de l'époque.

On pense à la distance entre Dorval et Mirabel, aux voyageurs qui rataient leur correspondance, aux incessants débats sur l'avenir de... Dorval? Mirabel? Dorval? Mirabel?

Mais plus que tout, la saga de cet éléphant blanc est étroitement liée à l'une des pires périodes économiques de la métropole. Une période sur laquelle la démolition de l'aérogare, annoncée hier, nous permettra de tirer enfin un trait.

On tend à l'oublier, mais l'échec de Mirabel n'a pas été qu'un échec politique et urbanistique. Ce fut le début de la descente aux enfers de Montréal. À côté de ce fiasco, le Stade olympique a l'air d'un coup de génie...

Certes, le projet se défendait à l'époque, sur papier, du moins. Montréal commençait à s'essouffler. Une population de 7 millions se dessinait au loin. La demande pour les vols semblait infinie. Et les limites de l'aéroport Dorval commençaient à se faire sentir.

La construction d'un deuxième aéroport semblait donc sensée. Elle devait servir à consolider le rôle de Montréal en tant que principal pôle d'aviation du Canada. Elle avait pour objectif de relancer l'économie de la métropole.

Or elle a plutôt accéléré sa chute, comme si on avait précipité au sol un avion qui piquait déjà du nez...

On s'entend, Mirabel n'est pas le responsable des problèmes économiques qu'a connus Montréal des années 70 aux années 90. Mais la division des vols entre deux aéroports dans un marché aussi restreint a certainement tiré vers le bas une économie qui avait déjà amorcé sa descente.

«Ce n'est pas totalement un hasard si les 20 années durant lesquelles les deux aéroports furent en service correspondent à la période la plus sombre de l'économie montréalaise», fait remarquer le chercheur de l'INRS Mario Polèse, qui doit justement ses débuts professionnels au projet Sainte-Scholastique, devenu Mirabel, auquel il avait travaillé à l'époque.

Du jour au lendemain, ou presque, Montréal a perdu sa fonction de plaque tournante de l'aviation civile canadienne aux mains de Toronto... et ne l'a jamais retrouvée depuis. De la même manière qu'il a perdu son statut de métropole du pays, pour toujours.

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La décision de démolir l'aérogare, dans un tel contexte, est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle.

Bonne parce qu'elle permettra à Montréal de tourner la page sur une période peu glorieuse de son passé. Mauvaise parce qu'il faudra pour ce faire démolir l'une des principales icônes de l'architecture moderne au Québec, aux côtés de la Place Bonaventure, de la Tour de la Bourse, voire de la Place Ville-Marie.

Disons-le, c'est un gaspillage éhonté, une véritable honte, un affront au patrimoine bâti... mais un gaspillage qui était, hélas, devenu inévitable.

Il y aura en effet 10 ans en novembre que les responsables voient le bâtiment de l'ancienne aérogare de Montréal-Mirabel inoccupé, et ce n'est pas faute d'avoir tenté de le ranimer, avec piste de course, centre commercial, magasins d'usine (factory outlets). Rappelez-vous «Rêveport», son aquarium géant et sa plage intérieure!

En vain. Depuis le transfert des vols à Dorval, ADM n'a pu tirer de revenus de cet imposant bâtiment qui occupe 15 acres... et lui coûte 5 millions par année en sécurisation, assurances, électricité, chauffage, climatisation, etc.

Bien beau d'avoir des ambitions pour l'édifice, comme l'a rappelé le maire de Mirabel mardi dernier, mais après avoir dépensé plus de 30 millions, il faut se rendre à l'évidence: le risque de ne jamais trouver de locataire est trop grand et coûteux pour continuer à s'acharner (les pistes d'atterrissage ne sont pas menacées, cela dit, une centaine de millions étant même prévus pour consolider leur rôle auprès des avions-cargos).

Malheureusement, l'édifice a un aménagement qui n'a rien d'habituel, avec des plafonds parfois trop hauts, parfois trop bas. Il y a beaucoup de colonnes. Les murs sont pleins d'amiante. Le système de gicleurs est à refaire. La facture énergétique est très salée. Et surtout, le site est ingrat, en plein no man's land, loin des secteurs densifiés.

Oui, il faut tout faire pour préserver les bâtiments qui témoignent des grands moments de la modernité du Québec, mais celui-ci est malheureusement trop coûteux, excentré et difficile à reconvertir pour que l'on se batte pour son maintien.

Quand on pense à l'aéroport de Mirabel, on pense à l'immense gâchis social qu'il a été. On pense aux mauvaises décisions politiques de l'époque. On pense aux problèmes économiques qu'il devait régler mais qu'il a fini par aggraver. C'est ce qu'il faut aujourd'hui mettre à terre.