Jean-François Lisée a péché. Il a osé tendre la main aux Anglo-Montréalais, une «dérive» critiquée par Jacques Parizeau qui pourfend le «bon-ententisme» du ministre, façon polie de dénoncer cette collaboration avec l'ennemi.

Les menaces au français ont beau avoir changé, «les Anglais» font toujours peur à M. Parizeau...

Il y a certes une mince part de conflit générationnel dans l'escarmouche opposant l'ancien premier ministre à son conseiller de l'époque, mais il y a surtout un conflit entre deux visions des relations entre Québécois de différentes langues. Pour l'un, les anglophones font partie du problème, pour l'autre, ils font partie du Québec.

L'ancienne garde péquiste croit encore que les anglophones doivent reculer pour qu'avancent les francophones. Elle parle d'«ouverture» avec dédain. Elle pourfend «la bonne entente» comme s'il s'agissait d'une abdication. Elle confond assimilation et «sécurité linguistique». Elle dénonce tout accommodement comme autant de «dérives».

Pourtant, le rapport de force a changé au Québec depuis 40 ans. Le français a progressé. Son usage est plus répandu. Les jeunes immigrants reçoivent un enseignement en français. Les anglophones n'ont jamais été aussi bilingues et intégrés.

Et pourtant, on leur envoie le message que peu importe leur ouverture, ils n'en feront jamais assez. Qu'ils sont responsables de la perte de vitesse du français à Montréal. Qu'ils constituent une menace à la survie de la langue.

Or, Montréal ne s'anglicise pas autant qu'elle se «défrancise».

Le problème n'en est pas un de croissance de l'anglais, mais bien de décroissance: décroissance de la natalité et décroissance du nombre de francophones sur l'île. Deux phénomènes qui font bel et bien reculer le français dans la métropole, mais qui n'ont rien à voir avec les anglophones, encore moins avec l'ouverture du ministre Lisée.

Les plus récents chiffres de Statistique Canada le confirment. Les jeunes immigrants parlent de plus en plus français à l'école, dans la cour, dans leur quartier. Ils ramènent ainsi cette langue à la maison, laquelle s'ajoute à la langue des parents.

Mais ce processus, nécessairement long, est contré par l'affluence des immigrants allophones qui emménagent presque tous sur l'île, et par l'exode des francophones qui quittent massivement pour la banlieue.

Et pourtant, ce qui anime les «véritables» défenseurs du français, ce sont des symboles peu menaçants. Le bilinguisme des guichetiers du métro au centre-ville. Le statut de quelques petites municipalités bilingues. Le menu des restaurants italiens...

Le défi, aujourd'hui, n'est pas de s'attaquer aux épouvantails du passé, mais bien de créer un terreau encore plus fertile à l'épanouissement du français dans la ville centre. Cela passe par la rétention des francophones sur l'île, mais aussi par une meilleure intégration des immigrants et une augmentation des interactions entre francos, anglos et allophones. Bref, par une «bonne entente» entre les groupes linguistiques.