Il y a eu les courriels piratés, puis l'«erreur regrettable» liée à la fonte des glaciers de l'Himalaya. Il y a aussi eu le recours à un magazine d'alpinisme pour étayer des passages du dernier rapport du GIEC, ainsi que le curieux déplacement de thermomètres en Chine.

Avouons-le, le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat est mis à mal par plusieurs révélations, depuis novembre dernier. Des révélations qui, prises une par une, n'ébranlent pas le solide édifice qu'il a su ériger depuis sa fondation il y a 22 ans, mais qui, additionnées, deviennent de plus en plus accablantes...

On demande à la communauté internationale d'agir d'une seule voix, de dépenser des milliards pour freiner un problème dont l'existence repose justement sur la confiance que le public voue à la science. Or cette confiance est minée.

Attention! Le consensus scientifique sur les changements climatiques existe toujours, aucune révélation n'ayant affaibli cette thèse: l'homme émet du CO2, la concentration de ce gaz dans l'atmosphère augmente et, par conséquent, la planète se réchauffe.

Jusque là, tout va bien.

 

Photo: AFP

La fonte des glaciers de l'Everest est au coeur d'une nouvelle controverse qui secoue les experts du climat.

Ce qui est remis en question, par contre, ce sont certaines conclusions périphériques au consensus, mais aussi les conditions dans lesquelles travaillent les scientifiques du climat depuis quelques années, voire l'objectivité de certains d'entre eux.

Plusieurs des «scandales» en cause démontrent en effet que certains chercheurs ont tourné les coins ronds, que d'autres ont mis le couvercle sur certains débats et qu'au moins l'un d'entre eux a sciemment contourné la loi d'accès à l'information.

Pourquoi? Pour ne pas donner de munitions à ceux que l'on appelle les climato-sceptiques.

Car il y a manifestement guerre, entre certains tenants du réchauffement et ceux qui le contestent, une situation qui a non seulement polarisé le débat (éclipsant les chercheurs plus modérés), mais aussi poussé les scientifiques dans leurs retranchements.

Voilà ce que l'on constate en parcourant les courriels piratés: les chercheurs se sentent assiégés et craignent, plus que tout, que leur «linge sale aboutisse entre les mains de personnes qui ne se gêneront pas pour fausser les données à leur avantage», selon un des échanges, signé par le climatologue Michael Mann.

Résultat: certains scientifiques ont troqué la blouse blanche pour l'arme blanche, polarisant encore un peu plus un débat qui, médiatiquement, en est venu à opposer alarmistes et négationnistes. Et avec ce virage, c'est l'objectivité et la transparence auxquelles sont tenus les chercheurs qui a pris le bord. La meilleure illustration de ce combat est la guerre que se livrent depuis un bon bout de temps deux sites qui prétendent détenir LA vérité: Realclimate, tenu par des scientifiques mondialement reconnus, et Climate Audit, du sceptique Steve McIntyre. Ces deux sites penchent presque toujours du même côté, même si la science se décline rarement en noir et blanc...

 

 

 

Photo: archives La Presse

Rajendra Pachauri, président du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC).

Idéologie et science ne font pas bon ménage. Pas plus du côté des chercheurs que de leurs détracteurs.

La croisade du directeur de l'Institut Goddard de la NASA, Jim Hansen, en est un bon exemple. En se positionnant comme un véritable héraut du climat, il s'est à ce point peinturé dans le coin qu'il lui est dorénavant impossible d'analyser objectivement les plus récentes découvertes. Comment pourrait-il accorder du mérite à une recherche qui contredit son message?

Or, comme l'explique le climatologue allemand Hans von Storch, «il y a beaucoup de petits Hansen dans la communauté scientifique, qui se considèrent plus compétents que le monde ordinaire pour décider des besoins du monde».

Même chose du côté des sceptiques. Certains questionnent sincèrement et objectivement le système, alors que bien d'autres, comme le géochimiste Claude Allègre  ou l'ancien ministre Jacques Brassard, s'érigent en porte-parole d'une cause qu'ils dépeignent comme manichéenne en en gommant les subtilités. Qu'à cela ne tienne, ils ont la parole facile et réussissent à faire passer leur message : l'intuition prime la science.

Entre les deux, on retrouve les médias. Qui ont aussi leur part de responsabilité. Entre l'arbre et l'écorce, les journalistes ont couvert le dossier en faisant valoir deux points de vue tranchés, puis certains se sont aperçus, il y a environ trois ans, que les «anti-climat» ne représentaient qu'une poignée d'individus.

Or faut-il continuer à présenter les deux côté de la médaille si les milliers de scientifiques impliqués auprès du GIEC concluent être certain à 99 % que l'homme est responsable du réchauffement? Difficilement, ont répondu plusieurs médias, dont La Presse, qui ont tranquillement mis de côté la controverse au profit du consensus.

Mais du coup, ils ont élargi à l'occasion le consensus à des questions périphériques au réchauffement, qui elles ne recueillent pas toujours la faveur d'une majorité de scientifiques. Le réchauffement est-il responsable de la fonte des neiges du Kilimandjaro? Ou n'est-ce pas plutôt le déboisement, qui a moins de chance de se retrouver dans les reportages?

Une note de service de la BBC de septembre 2009 témoigne d'ailleurs de cette évolution de la couverture médiatique. On demandait alors aux journalistes de redonner plus de place aux sceptiques crédibles, aux chercheurs reconnus ayant une opinion divergente, afin de rééquilibrer le dossier. Avec raison.

Photo: archives AP

Le réchauffement est-il responsable de la fonte des neiges du Kilimanjaro?

Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Oui, le GIEC a commis certaines erreurs, ce qui était inévitable pour une entreprise d'une ampleur jamais vue. Oui, certains scientifiques sont devenus de véritables groupes de pression à eux seuls.

Cela doit nous mener à un sain questionnement, à un scepticisme de bon aloi, mais certainement pas à un rejet pur et simple de la science de l'atmosphère.

Laissons le soin aux climatologues de répondre aux questions plus pointues qui les regardent. Doivent-ils avoir recours à la «littérature grise» (rapports d'ONG, travaux étudiants, etc.)? Revoir la procédure de révision des revues scientifiques? Réformer le GIEC?

Concentrons-nous plutôt sur le type de science que nous voulons, collectivement. Une science qui donne dans l'analyse froide, qui répond au mieux de sa connaissance aux questions relatives au devenir de la société, tout en vulgarisant ses conclusions au besoin? Ou une science plus militante, qui agit tel un groupe d'intérêt oeuvrant à l'amélioration du monde, dans les limites de ses valeurs.

Dans un monde de plus en plus instruit et critique, où les technologies obligent à plus de transparence, où la conversation prend le dessus sur le monologue, où l'idéologie des plus extrémistes continuera inévitablement à contaminer le débat, la première option, avouons-le, apparaît plus raisonnable.

Si elle avait été privilégiée, d'ailleurs, ni le «Climategate» ni les autres «scandales» qui ont suivi n'auraient eu un tel écho. Peut-être n'auraient-ils même jamais vu le jour.

Pour pousser la réflexion plus loin:

Les critiques formulées contre le GIEC, résumées par Le Monde

Le Guardian se penche sur la «guerre» que se livrent scientifiques et sceptiques (en anglais).

La réaction de Hans von Storch, un climatologue équilibré (en anglais).

Nature donne la parole aux climatologues (abonnement nécessaire).

Un résumé en français de l'article de Nature.

La réaction du site Climate Audit, à l'article de Nature.