En Bixi, la voie publique nous appartient. Conçu pour la ville, on se sent mieux accueilli en pleine rue qu'avec un vélo de course ou de montagne. Il nous confère aussi une soudaine légitimité urbaine, jusqu'alors réservée aux automobilistes. Bref, la présence du cycliste n'est plus, désormais, confinée aux seules pistes cyclables à Montréal.

Le Bixi transformera-t-il la ville en profondeur? Tout dépend, évidemment, de sa popularité. Les essais réalisés cette semaine par La Presse nous laissent croire que les Montréalais aimeront... mais peut-être un peu moins lorsqu'ils seront en auto. Résumons le Bixi en trois mots : simple, robuste et dispendieux.

Simple, parce qu'il suffit d'un abonnement ou d'une carte de crédit pour partir avec une bicyclette, en quelques secondes. L'abonné insère sa clé, le non abonné paye 5 $ pour 24 heures, et tous deux ont droit de pédaler à volonté, à condition qu'ils retournent à une station à chaque demi-heure pour éviter de payer une pénalité.

Robuste, parce que le designer Michel Dallaire a conçu avec Devinci une merveille de technologie enrobée d'un cadre d'aluminium solide et non corrosif (contrairement à toutes les autres villes du monde, dotées de vélos d'acier).

Dispendieux, il faut le dire, parce que la tarification en rebutera plusieurs. L'abonnement «annuel» à 78 $ sera l'apanage des purs et durs. L'accès ponctuel à 5 $ pour 24 heures, le moins cher des forfaits, est tout de même le double du prix d'un billet de bus, ce qui fera sourciller ceux qui veulent se balader. Et contrairement à Paris, les titulaires d'une carte mensuelle de la STM ne jouiront d'aucun privilège.

Cela dit, c'est à l'usage que le Bixi méritera - ou non - les honneurs. Y aura-t-il suffisamment de vélos? Ou y en aura-t-il trop, obligeant les usagers à se promener de station à station pour rendre leur Bixi? Les bornes seront-elles bien situées? La technologie tiendra-t-elle la route? Et surtout, le Bixi réussira-t-il à se tailler une place dans le coeur des Montréalais, mais aussi dans la ville?

La jungle urbaine étant déjà passablement bondée (et indisciplinée) à Montréal, la venue d'une nouvelle bête exigera en effet des concessions de bien du monde. Les automobilistes, qui devront partager la voie avec ces cyclistes du dimanche. Les chauffeurs de taxi, qui verront leurs recettes diminuer. Les chauffeurs de la STM, qui devront zigzaguer autour des stations Bixi.

En quelques heures jeudi, d'ailleurs, La Presse a pu constater à quel point les stations installées dans le Vieux-Montréal incommodaient les automobilistes. Certains se stationnaient carrément devant. D'autres tentaient péniblement de les contourner sans les frapper. Et d'autres encore pestaient contre ce nouveau mobilier urbain qui ose leur piquer une centaine de cases de stationnement en ville.

Cela dit, avant de prévoir une révolution dans les rues de Montréal - ou même une confrontation -, reste à voir si le vélo en libre-service sera aussi populaire ici, toute proportion gardée, qu'en Europe. Ou s'il demeurera une belle pièce de mobilier urbain.

Montréal, ville de vélos? La réponse au coin de la rue.

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Photo: La Presse

Londres, Toronto, New York et Lisbonne s'intéressent au brevet du Bixi. Pourquoi? Nous avons posé la question au designer Michel Dallaire.

Modulable

«L'élément qui crée le plus d'intérêt est certainement l'autonomie et la modularité du système. Ailleurs, l'installation d'une station nécessite de très coûteux travaux de voirie : creuser une tranchée, défaire le pavé, couler le béton, faire les ancrages, etc. À Montréal, les stations s'implantent en 20 minutes, une flexibilité rendue nécessaire par nos hivers, où tout doit être enlevé et entreposé. Cette modularité permet aussi de s'ajuster au flot de circulation, à la popularité des stations, etc.»





Photo: La Presse

Le Bixi

Esthétique

«Le deuxième élément fort du Bixi est son design homogène. Il y a tout de suite une séduction esthétique. Tout est cohérent : les bollards (là où le vélo est accroché), les bornes et le vélo. Les produits ne sont pas identiques, mais ils sont nés du même père et de la même mère! Nous avons aussi eu la chance d'être le troisième gros joueur à faire de tels vélos, ce qui nous a permis d'apporter les corrections nécessaires. Comme je le dis souvent : Mozart n'aurait pas été Mozart si Bach ne l'avait pas précédé.»

Pratique

«Le troisième élément est certainement l'utilisation de l'aluminium. Alors que partout dans le monde, les vélos en libre-service sont en acier, nous avons opté pour un matériau qui n'est pas corrosif, grâce à une commandite de Rio Tinto Alcan. Les vélos qui se brisent à Paris sont ceux qui ont commencé à rouiller, ce qui affaiblit l'intégrité structurale du cadre. L'aluminium, en plus d'être solide, durable et 100 % recyclable, nécessite bien peu d'entretien, ce qu'apprécient les villes.»

Photo: La Presse