Vous êtes opposés à l’éthanol fabriqué à partir de maïs? Vous refusez d’encourager une industrie qui convertit un aliment en carburant automobile? Préparez-vous à vendre votre véhicule, car dans moins de 17 mois, chaque plein fait au pays contiendra plusieurs litres d’éthanol.

Le Sénat a en effet donné le feu vert au projet de loi C-33 il y a près de trois mois, ce qui oblige les détaillants à ajouter au moins 5 % d’éthanol dans leur essence d’ici janvier 2010.

Cette décision est lourde de sens pour le Canada, car elle démontre sa volonté de privilégier les agriculteurs, au détriment de l’environnement et des plus démunis.

L’explosif débat qui a cours dans le monde autour des bienfaits et des méfaits de l’éthanol-grain met en effet en lumière toute la difficulté de jongler avec les trois piliers du développement durable – économie, environnement et développement social.

Il est facile de se réclamer du développement durable, d’affirmer que l’on accorde un poids égal à chacune de ses composantes, mais dans la réalité, malheureusement, l’un est toujours privilégié.

Mais lequel?

L’éthanol a certes quelques bienfaits environnementaux (une réduction du tiers des émissions de gaz à effet de serre par rapport à l’essence), mais il participe à la crise alimentaire mondiale (la Banque mondiale estime que c’en est LE principal responsable.

Il apporte d’indéniables bénéfices économiques (il a permis de donner un second souffle à des agriculteurs qui en avaient besoin), mais il provoque dans son sillage une accélération de la déforestation (il n’y a pas suffisamment de terres agricoles pour répondre aux différentes cibles nationales).

Il ouvre la porte au développement d’un éthanol de second génération (fait à partir de déchets, d’algues, etc.), mais il cause en chemin bien des dégâts environnementaux (lorsqu’on s’attarde au cycle de vie de l’éthanol, c’est-à-dire aux impacts de la plantation du maïs jusqu’à ce qu’il soit mélangé à l’essence).

Question, donc : on sauve les plus démunis? L’environnement? Ou les agriculteurs?

L’Ontario a opté pour le pilier social : prétextant la crise alimentaire mondiale, la province a annoncé la semaine dernière qu’elle songeait à abandonner le seuil minimum d’éthanol qu’elle avait fixé à 10 %.

L’Union européenne a choisi l’environnement : sous la pression notamment de l’Agence européenne de l’environnement, qui craint «les pressions sur les sols, l’eau et la biodiversité», elle envisage de réduire son objectif de 10 % à 4 %.

Et le Canada, on l’aura compris, a choisi de privilégier l’économie. L’éthanol représente en effet une formidable occasion de relancer l’industrie du maïs et de conserver le pays en tête dans la course aux agrocarburants, comme l’a reconnu en débat le sénateur conservateur Bert Brown.

«J’estime que nous atteignons deux résultats avec ce projet de loi, a-t-il dit. Tout d’abord, nous permettons aux agriculteurs de maintenir leur capacité concurrentielle sur les marchés. De plus, nous faisons en sorte qu’ils puissent produire des aliments pour les exporter partout dans le monde.»

Mais à quel prix? Voilà une question qui ne trouvera réponse qu’une fois les dommages causés.