C’est Claude Blanchet au bout du fil. Et il est, comment dire, renversé.

Claude Blanchet a été l’un des créateurs du Fonds de solidarité FTQ, en 1983. Si les fonds fiscalisés, comme celui de la FTQ et de Desjardins, existent aujourd’hui, c’est un peu beaucoup grâce à lui.

Or, Claude Blanchet trouve inconcevable que Groupe Capitales Médias (GCM) éprouve autant de difficultés à assurer sa survie, compte tenu de ces outils financiers dont s’est doté le Québec. En particulier, il juge étonnante la frilosité du Mouvement Desjardins dans cette affaire.

« Desjardins est présent partout. Il est une part entière de la collectivité. Je ne comprends pas que l’organisation ne voie pas l’importance de ce dossier. On a besoin de ces médias pour avoir des informations locales et de qualité. On ne peut pas laisser passer une affaire de même », me dit Claude Blanchet.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

L’homme a été le premier PDG du Fonds FTQ, de 1983 à 1997, puis PDG de la Société générale de financement (SGF) jusqu’en 2003. Il est le mari de Pauline Marois, ex-première ministre du Québec sous le Parti québécois.

Claude Blanchet m’a passé un coup de fil mardi matin, en réaction à ma chronique « Pourquoi Desjardins dit non ? » 

Je m’y interrogeais sur le refus cavalier de Desjardins de participer à la relance de Groupe Capitales Médias, compte tenu de la mission de sa société Capital coopératif régional Desjardins (CRCD). Cette société affiliée doit investir à risque dans des PME régionales et coopératives en vertu du crédit d’impôt de 35 % du gouvernement du Québec qu’empochent les petits investisseurs qui y contribuent.

[Guy] Cormier pense comme un banquier, pas comme un gars de capital-risque. Il fait une grosse erreur de ne pas s’impliquer avec tous les partenaires qui sont là.

Claude Blanchet

Sa voix s’ajoute à celles d’autres ténors, notamment le ministre Pierre Fitzgibbon, qui demande à Guy Cormier de reconsidérer sa décision. Comme Claude Blanchet, le ministre comprend que personne ne veut jeter son argent par les fenêtres, mais il juge que Desjardins aurait dû s’asseoir avec les dirigeants de la Coop des employés GCM et les aider à peaufiner leur plan d’affaires.

Claude Blanchet croit que le gouvernement du Québec a fait le bon geste en accordant aux médias un crédit d’impôt sur la masse salariale, qui s’ajoute au crédit fédéral. Selon lui, nos institutions ont maintenant le devoir d’aider la Coop des employés GCM. Pas seulement avec de l’argent, mais en les faisant aussi profiter de leur savoir-faire.

Le plan d’affaires de GCM est confidentiel, mais il est de notoriété publique que l’organisation réduira son effectif de 15 % et deviendra progressivement un média payant sur l’internet, sauf le samedi, qui conserverait la version papier. Ces changements, jumelés aux crédits d’impôt sur les salaires, à l’abandon des régimes de retraite à prestations déterminées et au déménagement dans des locaux moins coûteux, visent à éliminer les pertes.

Les fonds réclamés à Fondaction CSN, au Fonds FTQ et à Desjardins, entre autres, serviraient à assurer la transition du modèle d’affaires, en plus de contribuer au développement technologique. Ce financement externe, qui inclut l’argent d’Investissement Québec et de la Fiducie Chantier de l’économie sociale, avoisinerait les 10 millions, auxquels s’ajouteraient les dons et la contribution des employés.

Ce sont de petites sommes, personne ne va se ruiner avec ça. Le risque est minime par rapport à l’actif des institutions et compte tenu des besoins essentiels de la collectivité pour des médias locaux de qualité.

Claude Blanchet

Le Fonds FTQ, rappelle-t-il, a été créé à une époque où le Québec ne disposait pas de beaucoup de leviers financiers pour venir en aide aux entreprises. À partir de 1983, au lendemain d’une grave crise économique, le Fonds a participé au sauvetage de nombreuses entreprises, notamment Le Devoir, SSQ-vie et Paccar (camions Kenworth). Le Fonds s’est monté un capital grâce aux généreux crédits d’impôt du provincial, puis du fédéral, versés aux petits investisseurs, souvent des travailleurs syndiqués.

S’il dirigeait aujourd’hui le Fonds FTQ, Claude Blanchet essaierait de trouver des façons d’aider GCM. « Desjardins devrait le faire, sinon les autres partenaires financiers du projet devraient mettre de l’argent pour concrétiser le projet et leur offrir l’aide technique dont ils ont besoin », dit-il

Dans les années 70, Claude Blanchet rappelle avoir participé au lancement d’une station de télévision coopérative en Outaouais. Et à l’époque, le président de Desjardins, Alfred Rouleau, s’était dit intéressé à l’appuyer financièrement, mais se plaignait de ne pas avoir les outils pour le faire. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Lundi, le président du Mouvement Desjardins, Guy Cormier, a répété avoir reçu des demandes d’aide de plusieurs médias, pas seulement de GCM. L’homme se dit plutôt favorable à l’idée de contribuer à un fonds pour l’ensemble des médias, avec le gouvernement, plutôt qu’à certains médias à la pièce. Le hic, c’est que le gouvernement a plutôt opté pour des crédits d’impôt.

Il reste trois semaines à GCM pour conclure son financement. Sinon, ce sera la fin. Lira-t-on encore Le Soleil, Le Quotidien, Le Nouvelliste, Le Droit, La Tribune et La Voix de l’Est en 2020 ?