Les investissements, c’est connu, sont le moteur d’une économie. Ils permettent de transformer des industries, d’améliorer la rentabilité à long terme des entreprises et, ultimement, d’augmenter notre niveau de vie.

Or voilà, ces dernières années, les entreprises et les gouvernements ont omis de compiler une part très importante de leurs investissements, que les changements technologiques ont rendus incontournable. Ces nouveaux investissements concernent la valeur que représentent… leurs données.

Pardon ? Mais oui, les bases de données, celles dont les entreprises prennent un soin jaloux pour mieux connaître leurs clients, augmenter leurs ventes ou gérer leurs stocks.

Les exemples névralgiques que constituent les données, les bases de données et la science des données sont nombreux. Dans le domaine de l’assurance, les données portant sur les clients, les risques ou le coût des événements sont cruciales.

Autre exemple : les entreprises internet comme Facebook, qui offrent des services en apparence gratuits, rentabilisent leurs affaires grâce aux montagnes de données recueillies sur les utilisateurs, qu’ils peuvent revendre.

PHOTO DYLAN MARTINEZ, ARCHIVES REUTERS

« Les entreprises internet qui offrent des services en apparence gratuits rentabilisent leurs affaires grâce aux montagnes de données recueillies sur les utilisateurs, qu’ils peuvent revendre », écrit notre chroniqueur.

Ces bases de données et les dépenses que font les organisations chaque année pour les entretenir et les développer ont donc une grande importance. Et hier, pour la première fois, Statistique Canada a publié une estimation de leur valeur.

Attachez vos tuques : en 2018, l’ensemble des entreprises et des gouvernements ont investi 40 milliards de dollars dans leurs activités liées aux données(1)

Pour donner un ordre de grandeur, ces investissements arrivent au quatrième rang des plus importants au Canada, après les travaux de génie et la construction résidentielle, notamment.

Les investissements dans les activités de données sont plus importants que ceux dans les machines industrielles (31 milliards), le matériel de transport (28,5 milliards) ou la recherche et développement (24,5 milliards).

Évidemment, ces investissements annuels se transforment en actifs et gardent une grande partie de leur valeur pendant plusieurs années. En faisant le travail d’estimation depuis 1990, Statistique Canada a ainsi calculé que la valeur totale accumulée des activités de données (le stock net, dans le jargon) avoisine les 217 milliards de dollars au Canada(2) !

Depuis trois ans, cet actif accumulé a crû à un rythme annuel moyen de 6,3 %, plus que les huit autres principaux types d’investissements, exception faite du matériel de transport (6,7 %). La croissance est telle qu’aujourd’hui, la valeur totale des investissements dans les activités de données (217 milliards) est presque aussi importante que celle des réserves de pétrole brut au Canada (300 milliards) !

Cette question du traitement des données, qui a explosé avec les technologies de l’information, préoccupe un nombre grandissant de pays. Statistique Canada a établi une méthode d’évaluation avec l’aide d’économistes du Bureau of Economic Analysis des États-Unis et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Essentiellement, ils évaluent les investissements dans les données en calculant la part des dépenses de main-d’œuvre des entreprises qui sont consacrées à la gestion, à l’entretien, au développement et au marketing des données.

Le Québec au deuxième rang

Le Canada est le premier pays au monde à rendre publique une estimation des investissements dans les activités de données. Les autres pays suivront probablement, étant donné l’importance maintenant capitale des bases de données dans la vie des entreprises. La valeur des investissements dans les données donnera une idée du degré de conversion des économies des divers pays vers l’économie de l’avenir.

À cet égard, Statistique Canada a consenti à nous fournir une comparaison des provinces. Or, bonne nouvelle, le Québec figure au deuxième rang au Canada, derrière l’Ontario.

Ainsi, le Québec a investi 8,4 milliards dans ses activités de données en 2018, ce qui représente 9,7 % du total de ses investissements. En comparaison, cette part est de 11,4 % en Ontario, de 6,4 % en Colombie-Britannique et de 4,4 % en Alberta. La moyenne canadienne est de 8,1 %.

Autrement dit, le Québec investit davantage dans les données que dans les autres sphères économiques, un élément qui pourrait bien améliorer son bilan tristement célèbre des investissements par rapport aux autres principales provinces.

Les investissements du Québec, faut-il rappeler, ne représentent que 17,6 % du total canadien en 2018, alors que sa population est à 22,6 % de l’ensemble canadien. Or, les investissements dans les données au Québec, nous apprennent les chiffres de Statistique Canada, représentent, eux, 21 % du total canadien, ce qui nous rapproche de notre part de la population.

Les comptables préoccupés

Par ailleurs, il semble que les comptables commencent à se préoccuper de la question. Lorsqu’une entreprise acquiert un concurrent, la qualité des bases de données de la cible est cruciale. Or, la valeur de ces données n’est aucunement inscrite au bilan, et le prix payé risque donc d’être bien supérieur à la valeur des actifs (moins les passifs) inscrits.

Il faudra donc, tôt ou tard, que les comptables trouvent une façon d’en indiquer la valeur. Bien souvent, les écarts de prix d’acquisition se trouvent dans un poste comptable appelé achalandage, mais ce poste est très englobant. Le hic avec les données, c’est qu’il n’y a pas de marchés organisés pour en estimer la valeur. À suivre donc.

(1) Ce chiffre de 40 milliards est la fourchette maximale de l’évaluation. La fourchette minimale est de 29,5 milliards. (2) Quelque 79 % de ce total vient des entreprises et 21 %, des gouvernements.