Pendant des années, le Québec a lutté pour éliminer son déficit budgétaire et ramener sa dette publique à un niveau raisonnable, avec succès.

Le problème, c’est que pour y parvenir, nos gouvernements ont négligé l’entretien des ponts, des routes et des écoles, si bien qu’on se retrouve aujourd’hui avec un énorme déficit d’entretien de nos infrastructures. La population est à même de le constater avec les nombreux nids-de-poule et la désuétude de certaines écoles.

Ce déficit d’entretien des infrastructures publiques est officiellement estimé et le chiffre fait peur : 24,6 milliards de dollars !

À ce sujet, un rapport de trois économistes fait le point sur nos infrastructures et les défis qu’il faut surmonter pour combler cet énorme déficit. Le rapport produit par Louise Lambert, Luc Meunier et Denis Robitaille a été réalisé pour le compte de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

Le rapport fait un survol des investissements publics dans les infrastructures depuis les années 60. À l’époque, le gouvernement du Québec et les municipalités, poussés par la croissance du baby-boom, investissaient l’équivalent de 3 à 4 % du PIB dans les infrastructures. Ce niveau a progressivement reculé après 1975 et il est descendu jusqu’à 1,2 % du PIB en 2000, au terme de plusieurs années de lutte contre le déficit budgétaire.

Depuis, le gouvernement a réinvesti de façon importante, faisant grimper ses investissements à plus de 2 % du PIB, mais l’absence d’entretien passé a été telle que le déficit de maintien d’actifs – comme le veut le jargon – demeure très grand en 2019, à 24,6 milliards.

Le gouvernement a commencé à évaluer ce déficit en 2007 et, au fil des années – et des méthodes plus efficaces pour évaluer la dégradation –, il est passé de 20,7 milliards en 2007 à 24,6 milliards aujourd’hui.

Par exemple, Québec estime que 54 % des bâtiments du secteur de l’éducation sont dans un état insatisfaisant, notent les auteurs. Et la réfection des infrastructures est plus coûteuse et difficile qu’il y a 50 ans, notamment pour les ponts et les routes, puisque tout doit être refait en milieu fortement urbanisé. Pensez à l’échangeur Turcot à Montréal, par exemple.

Les normes environnementales sont également plus sévères. « On ne pourrait plus, comme dans les années 1960, utiliser la terre extraite pour la construction du métro de Montréal afin de créer une île dans le fleuve Saint-Laurent », écrivent les auteurs.

Attendre coûte plus cher

Avec le temps, le coût représenté par le fait d’attendre avant de réparer a été mieux chiffré par les experts. Ainsi, la firme Deloitte calcule que le manque d’entretien des routes, des ponts et des ports occasionne des dépenses de 6 à 20 fois supérieures au coût d’entretien périodique. De son côté, le Groupe Altus estime qu’un dollar sous-investi en maintien d’actifs occasionne quatre dollars de réparation sur un horizon de 15 ans.

Bref, attendre coûte beaucoup plus cher que d’entretenir régulièrement.

Qui plus est, de nombreuses études démontrent que des infrastructures de qualité permettent de hausser la productivité des entreprises et, par conséquent, la compétitivité de notre économie. Ainsi, « une augmentation de 1 $ du stock net d’infrastructures publiques permet au secteur privé de réaliser des économies de 17 cents par année », est-il écrit dans l’étude. Et il faut ajouter l’impact sur la santé publique…

D’ici 10 ans, le gouvernement du Québec a l’intention d’investir 53,9 milliards dans le maintien de ses actifs ou, autrement dit, dans l’entretien périodique de ses infrastructures, selon ce qui est indiqué dans le Plan québécois des infrastructures (PQI). De cette somme, environ le tiers servira à combler le déficit d’entretien de 24,6 milliards, si bien qu’en 2029, 79 % du déficit serait résorbé, selon le PQI.

Tunnel à Québec

J’écris « serait résorbé », car la politique étant ce qu’elle est, ce genre de cible est souvent reporté. L’entretien d’une route de campagne, la réfection du mur de briques d’un hôpital ou encore le remplacement de vieux tuyaux d’égout n’est pas tellement payant, du point de vue électoral.

Il est beaucoup plus rentable, politiquement, d’annoncer le prolongement d’une route, comme c’est le cas avec l’autoroute 19 à Laval, ou encore la construction d’un nouveau tunnel, comme on le voit à Québec.

« Il ne faut pas cesser toute nouvelle initiative, me dit Luc Meunier au téléphone. Mais je suis convaincu que le maintien d’actifs et son déficit devraient avoir la priorité sur de nouveaux projets. Au moins, on a maintenant une évaluation transparente du déficit, ce qui mettra de la pression sur les autorités publiques. »

Luc Meunier connaît le tabac : il a été sous-ministre associé au ministère des Finances du Québec et président de la Société québécoise des infrastructures (SQI).

Selon le rapport, le gouvernement devrait tenir compte de tous les frais lorsqu’il planifie un projet, y compris les frais d’entretien et d’exploitation à long terme, comme le fait la France. De plus, les autorités devraient se doter d’outils pour mieux choisir les projets qui devraient être faits en priorité.

La tâche est imposante et nécessite une volonté politique. L’écœurement des nids-de-poule et des toitures d’école qui coulent sera-t-il suffisant pour provoquer des changements ?