Cette affirmation de Justin Trudeau m’a fait bondir : le nouveau pipeline ne fera pas augmenter la production de pétrole.

Vraiment ? L’affirmation du premier ministre du Canada est importante, car la crainte d’une hausse de la production est justement au cœur du problème. Et elle remet sur la sellette une avenue de solution : les Albertains sont-ils prêts à renoncer au développement de nouveaux gisements de pétrole en échange d’un pipeline ?

Malheureusement, ce n’est pas ce qu’on comprend des intentions de Jason Kenney, premier ministre de l’Alberta.

« Le but du projet, a dit Justin Trudeau mardi, ce n’est pas d’augmenter notre production de pétrole. C’est d’élargir nos options. Avec le pipeline Trans Mountain, le Canada dépendra moins des États-Unis qui est présentement notre seul client et aura accès aux marchés asiatiques qui sont en plein essor », a-t-il plaidé.

Cette intention stratégique est pleine de bon sens. En pratique, cependant, le triplement de la capacité du pipeline aura nécessairement comme conséquence, à moyen terme, d’encourager une augmentation de la production. Et c’est là que le bât blesse.

Pendant des années, l’Ouest a développé massivement ses gisements bitumineux, encouragé par les prix élevés du pétrole. Ils ont ainsi investi plusieurs dizaines de milliards sans s’être assurés, d’abord, de pouvoir transporter ce pétrole hors de leurs provinces. Mal leur en prit : en cette ère de réchauffement climatique, des tuyaux de pétrole, les Canadiens en veulent de moins en moins.

Ce qui devait arriver arriva : les producteurs se sont tournés vers le train pour transporter leur pétrole et le réseau ferroviaire est devenu engorgé. Cet engorgement, doublé des coûts plus grands pour raffiner le pétrole bitumineux, a eu pour effet de diminuer le prix de l’or noir albertain. Cet écart défavorable du prix albertain, conjugué à la baisse généralisée des prix du pétrole, a rendu tout nouveau projet de production non rentable.

Entre janvier et avril 2019, par exemple, le baril de pétrole Western Canada Select (WCS) s’est vendu 45,27 $ US, en moyenne, soit 21 % de moins que le pétrole de référence Western Texas Intermediate (WTI), qui se détaillait 57,08 $ US. Il y a cinq ans, au sommet du boom pétrolier, les deux types de pétrole se vendaient presque deux fois plus cher.

Ce n’est pas tout. L’accaparement du réseau ferroviaire pour le transport de pétrole a bousculé les autres industries dépendant du rail pour le transport de leurs produits.

Ainsi, de 2010 à 2018, le volume de chargement de pétrole sur le réseau ferroviaire canadien a été multiplié par quatre. Il est passé de quelque 106 000 barils de pétrole par jour en 2010, en moyenne, à un record de 378 000 barils par jour en 2018, selon les données de Statistique Canada. Un baril donne environ un plein d’essence d’une voiture moyenne.

Le transport par train est pourtant nettement plus dangereux – qu’on pense à la tragédie de Lac-Mégantic –, ce qui justifierait largement que l’on construise un pipeline pour y transférer le transport effectué par train.

Mais qu’arrivera-t-il si le pipeline est construit ? À terme, le projet de Trans Mountain triplerait la capacité de transport de pétrole du pipeline, la faisant passer de 300 000 à 890 000 barils par jour.

À elle seule, cette hausse de capacité de près de 600 000 barils par jour serait techniquement en mesure d’absorber davantage que tout le pétrole qui a été transporté par rail au Canada en 2018 (378 000 barils par jour). Et il n’est pas dit que l’industrie cessera complètement d’utiliser le rail pour transporter son pétrole.

Contrairement à ce qu’affirme Justin Trudeau, il y a donc tout lieu de craindre que le pipeline n’ait pour effet d’accroître nettement la production de pétrole. C’est d’autant plus vrai que le prix du pétrole albertain redeviendrait alors plus intéressant avec cette nouvelle capacité de transport, ce qui serait de nature à stimuler de nouveaux investissements et davantage de production.

La prédécesseure de Jason Kenney, Rachel Notley, avait promis de plafonner à 100 mégatonnes les émissions de gaz à effet de serre (GES) provenant du pétrole bitumineux, ce qui aurait pour effet de freiner les nouvelles productions. Ces émissions avoisinent actuellement 81 mégatonnes.

Cependant, peu après son élection, Jason Kenney s’est montré fort réfractaire face à un tel plafond. « Franchement, je n’ai jamais compris pourquoi le Canada est le seul producteur de pétrole et gaz à mettre un plafond à sa prospérité et à sa production, a-t-il déclaré au début de mai. Je pourrais être plus ouvert si je voyais que l’Arabie saoudite, l’Iran, le Qatar, la Russie et les États-Unis s’imposaient aussi un plafond. Cela dit, nous avons bien d’autres fers au feu. »

Bref, c’est la course à qui polluerait le plus…

Pour obtenir un compromis, les Canadiens pourraient consentir à l’agrandissement de Trans Mountain à la condition d’obtenir une forme de garantie sérieuse que les provinces de l’Ouest limiteront leur production annuelle de pétrole.

Autres conditions : l’Alberta devrait accepter l’imposition d’une taxe carbone, en plus de se réengager à remplacer progressivement le charbon comme source d’énergie pour la production de pétrole.

Ce serait, me semble-t-il, une solution politique plus qu’honorable, d’autant que le fédéral – et donc les contribuables canadiens – investira 9,4 milliards dans l’aventure, dont le risque d’exécution est jugé « énorme » par la firme de crédit Moody’s.