Oui, mais les salaires n’augmentent pas, entend-on souvent. La croissance économique et la pénurie de main-d’œuvre devraient faire pression à la hausse sur les salaires, mais ce n’est pas le cas, dit-on.

Permettez que je vous contredise ? Au contraire, le Québec figure au sommet de la hausse des salaires depuis cinq ans au Canada, loin devant l’Ontario, la Colombie-Britannique et l’Alberta. Surpris ?

Pour faire ce constat, j’ai décortiqué les données considérées comme parmi les plus fiables de Statistique Canada sur le sujet, tirées de l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH). Mensuellement, Statistique Canada publie ainsi la paie moyenne que touchent les Canadiens chaque semaine, telle que la déclarent les entreprises aux autorités fiscales. Difficile d’avoir mieux !

Premier constat : la rémunération moyenne a progressé de 2,6 % au premier trimestre de 2019 au Québec par rapport au même trimestre de 2018. C’est bien davantage qu’en Ontario (1,8 %), que dans la fougueuse Colombie-Britannique (1,9 %) ou qu’en Alberta (0 %), où l’économie vit des jours sombres. Au premier trimestre, la paie des Québécois était de 950,39 $ par semaine, en moyenne, heures supplémentaires comprises.

Oui, mais cette distinction du Québec est-elle un accident du début de 2019 ? Pas du tout. Deuxième constat : la hausse de la rémunération est soutenue depuis cinq ans.

On ne parle pas d’augmentation moyenne explosive, mais le Québec vient au premier rang canadien pour la croissance de la rémunération sur trois ans (8,3 %) et au deuxième rang sur cinq ans (13 %), juste après le Nouveau-Brunswick (13,3 %).

Oui, mais l’inflation qui gruge tout ? Justement, le Québec se distingue des autres provinces en ayant une progression des prix bien plus faible qu’ailleurs. Qu’on pense à l’immobilier, à l’électricité ou à l’assurance automobile, par exemple. Globalement, c’est au Québec que l’indice des prix à la consommation (IPC) a crû le moins vite au Canada depuis trois ans (et il est au troisième rang des indices qui ont progressé le moins vite depuis cinq ans).

Vous me voyez venir. Si l’on retranche l’inflation, la progression réelle de la rémunération des Québécois s’écarte encore davantage de la moyenne canadienne. Tant et si bien que depuis cinq ans, les Québécois ont vu leur paie hebdomadaire réelle croître de 6,3 % après inflation, alors que cette croissance est presque nulle au Canada (0,8 %) et négative en Alberta (- 6,2 %) et en Colombie-Britannique (- 0,4 %). L’Ontario est à + 1,2 % sur cinq ans.

Dit autrement, notre pouvoir d’achat augmente au Québec, pendant qu’il stagne dans les autres grandes provinces canadiennes.

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Pour avoir une meilleure idée du phénomène, j’ai comparé, depuis 2007, l’évolution de la paie des Québécois avec celle des résidants des autres provinces.

Les Québécois, c’est connu, gagnent moins en moyenne que les Canadiens des provinces situées à l’ouest, dont l’Ontario. Mais comment évolue la situation ?

Au premier trimestre de 2007 – au sommet du dernier cycle économique –, les Québécois touchaient l’équivalent de 86 % de la paie des Ontariens. Or, cette part est maintenant de 92 % (premier trimestre de 2019), soit un bond impressionnant de six points de pourcentage, une fois l’inflation retranchée (1).

Même constat avec la Colombie-Britannique. Cette fois, la proportion de notre paie moyenne a d’abord reculé, passant de 96 % en 2007 à 91 % en 2014, mais elle grimpe constamment depuis 2015 et atteint aujourd’hui 97 % de la paie des Britanno-Colombiens.

Quant aux Albertains, les Québécois ne touchaient que 73 % de leur paie hebdomadaire moyenne fin 2014, une proportion qui a bondi de 10 points pour atteindre 83 % au premier trimestre de 2019.

Oui, mais qu’en est-il de l’âge des travailleurs ? Cette question est revenue au congrès de l’Association des économistes québécois (ASDEQ), il y a deux semaines. Certains croient que le vieillissement de la force de travail a pour effet de faire grimper les employés dans les échelles salariales, et que les hausses constatées en sont le reflet, bien davantage que les pressions inflationnistes provoquées par la pénurie.

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D’autres disent, au contraire, que la situation selon laquelle de nombreux Québécois prennent leur retraite – davantage qu’ailleurs – et sont remplacés par des plus jeunes entraîne une sous-estimation des hausses de salaire attribuables à la pression de la rareté de la main-d’œuvre. Bref, que sans ce dernier phénomène, les données indiqueraient des hausses de salaire plus fortes.

Pour tirer l’affaire au clair, l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) m’a transmis des données sur la progression réelle des salaires entre 2008 et 2018 par tranche d’âge (tout est exprimé en dollars de 2018, soit après inflation).

Les données sont claires : toutes les grandes catégories d’âge ont vu leur salaire croître depuis 10 ans au Québec.

Ainsi, les travailleurs qui gagnaient plus de 30 $ l’heure représentaient 29 % du total en 2018, soit sept points de plus qu’en 2008 (22 %). La progression est de neuf points chez les 25-44 ans, de huit points chez les 45-54 ans et de deux points chez les 55 ans et plus.

La croissance de la portion des travailleurs qui gagnent plus de 20 $ l’heure exprime encore plus éloquemment la situation.

Par exemple, près de 17 % des 15-24 ans font plus de 20 $ l’heure aujourd’hui, contre 11 % il y a 10 ans (toujours en dollars comparables de 2018). Globalement, 60 % des Québécois gagnent plus de 20 $ l’heure aujourd’hui, soit neuf points de pourcentage de plus qu’en 2008.

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En somme, le constat est limpide : sans être explosifs, les salaires augmentent au Québec, et bien davantage qu’ailleurs au Canada, surtout après inflation. Et j’ajouterais que le Québec a aussi l’avantage d’avoir vu ses impôts provinciaux baisser depuis trois ans, ce qui n’est pas pris en compte dans les données de Statistique Canada, qui sont avant impôts.

Hélène Bégin, économiste au Mouvement Desjardins, tire la même conclusion, du moins à court terme. « Depuis 2017, les salaires augmentent plus rapidement au Québec. Plusieurs ne semblent pas avoir remarqué ce changement de cap. »

Tout comme l’Institut du Québec, hier. « La rareté de main-d’œuvre se traduit enfin par une augmentation substantielle des salaires. Ces hausses ne sont pas étrangères au fait que l’emploi dans les secteurs bien rémunérés est en hausse. »

Et si nos politiques publiques portaient leurs fruits, finalement ?

(1) La rémunération a été dégonflée de l’inflation avec l’IPC de chacune des provinces et ramenée en dollars de 2019. Sans ce dégonflement, la part de la paie des Québécois était de 90 % de celle des Ontariens en 2007 et 92,1 % en 2017. La différence d’inflation accentue le rattrapage du Québec.