Luc Ferrandez en a fait suer plus d’un ces dernières années avec sa gestion de la circulation. Et plusieurs jugent extrême le testament environnemental qu’il a publié mardi.

L’ex-maire du Plateau-Mont-Royal veut taxer la viande, les stationnements, l’entrée au centre-ville de Montréal, les vols aériens et les déchets, notamment. Wow ! tout un programme, de nature à effrayer les citoyens !

Or, pour bien des économistes, plusieurs des mesures qu’il avance sont justifiées, en principe. En fait, non seulement le sont-elles, mais en plus ces mesures auraient des effets bénéfiques pour l’économie… en supposant qu’elles soient implantées pratiquement partout.

Ah bon ?

Laissez-moi vous expliquer. Pour qu’une économie fonctionne, il faut laisser les forces du marché fixer le prix des produits en fonction de l’offre et de la demande. Si la concurrence entre les producteurs est parfaite, les prix et les quantités écoulées atteindront un équilibre idéal, qui maximisera le bien-être collectif, en fonction de la rareté des ressources.

Or voilà, le marché est très mauvais pour tenir compte des effets indésirables, comme la pollution. Par exemple, la circulation automobile a un impact sur le réchauffement climatique, la santé et la congestion routière. Et dans ce cas, ni les consommateurs d’essence ni les producteurs-raffineurs de pétrole n’intègrent dans le prix les conséquences financières bien réelles de cette surconsommation d’essence.

Bref, selon les économistes, les prix de certains produits seraient considérablement plus élevés si l’on tenait compte des conséquences coûteuses de ces produits, qu’on appelle externalités négatives. Cet avantage de prix s’apparente à une subvention.

Cette semaine, justement, le Fonds monétaire international (FMI) a calculé que cette subvention aux secteurs pétrolier et du charbon représente l’équivalent de quelque 55 milliards CAN au Canada, soit plus de 1500 $ par habitant. Pour l’ensemble de la planète, attachez vos tuques, la subvention s’élève à plus de 6600 milliards, soit 6,5 % du PIB mondial ! D’où l’idée d’une taxe carbone, ou l’équivalent, pour compenser 1.

Mais revenons à Luc Ferrandez. Les taxes qu’il propose sur les vols aériens, les stationnements ou la viande ont justement pour but de redresser leurs prix aux niveaux optimaux pour l’économie. Ce faisant, la consommation de ces produits diminuerait au profit d’autres produits, ce qui réduirait les effets néfastes et leurs coûts en conséquence, au bénéfice de tous.

Ai-je besoin de rappeler que le prix des billets d’avion n’incorpore pas l’impact de la production de gaz à effet de serre (GES) que les vols engendrent ? Pas plus que le prix de la viande, et notamment la viande rouge, dont la production émet beaucoup de GES, soit environ la moitié de l’assiette moyenne au Canada.

Même raisonnement pour les stationnements en ville : en semaine, leurs prix relativement trop bas le jour incitent un nombre plus grand d’automobilistes à s’y rendre qu’il ne devrait, ce qui entraîne des externalités négatives de congestion et de pollution.

« Ferrandez a entièrement raison. Si l’on veut gagner la guerre contre le changement climatique, ce sont des outils inévitables pour rétablir les prix et tenir compte des externalités négatives », me dit Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal, titulaire de la Chaire en gestion de l’énergie.

Cela dit, les suggestions de Luc Ferrandez pourraient être améliorées, dans certains cas. 

Le professeur d’économie Michel Poitevin, de l’Université de Montréal, juge qu’il est préférable de taxer le carburant des avions, plutôt que les billets des consommateurs.

En effet, une taxe sur le billet d’avion aurait pour effet de punir autant les transporteurs plus verts que les autres. En revanche, une taxe sur le carburant inciterait certains transporteurs à se procurer des avions moins polluants, comme ceux que développe Bombardier (le C Series, maintenant le modèle A220 d’Airbus).

Autre suggestion de Michel Poitevin : la taxe sur l’entrée au centre-ville ou celle sur les stationnements devrait être plus faible en période peu achalandée, selon le principe de l’offre et de la demande. De son côté, M. Pineau croit que, pour la viande, il faudrait d’abord réduire les avantages fiscaux aux producteurs avant de taxer.

Luc Ferrandez mettrait aussi une croix sur l’actuel projet Royalmount, jugeant qu’il provoquera une augmentation importante de la circulation – et donc des externalités négatives – et nuira aux autres pôles commerciaux, sans apporter de bénéfices suffisants.

L’ex-maire planterait aussi 500 000 arbres à Montréal, ferait l’acquisition de maisons et de terrains en zones inondables, renforcerait les nécessaires milieux humides et réinventerait le recyclage et la consigne.

Hier, Luc Ferrandez m’a expliqué que ses idée ne passent pas à la Ville car elles coûtent des sous.

On pourrait ajouter qu’elles sont difficiles à vendre à l’électorat, qui n’en verrait pas les bénéfices tangibles à court terme. De plus, elles exigeraient parfois l’engagement des ordres de gouvernement supérieurs.

À terme, ces mesures pourraient apporter de réels bénéfices à l’économie. Encore faut-il que Montréal, le Québec et le Canada n’agissent pas seuls et se trouvent ainsi à hausser indûment les coûts de nos entreprises et à diminuer la compétitivité de notre économie.

Bref, plusieurs pans de ce plan vert doivent être implantés pratiquement partout, d’où les ententes internationales sur la question. Mais justement, le Canada n’a-t-il pas promis à ses partenaires mondiaux de réduire ses GES de 30 % entre 2005 et 2030 ? Et il faut bien commencer quelque part, non ?

1 En imposant une taxe carbone de quelque 50 $ par tonne, le FMI estime que les GES diminueraient de 28 %, ce qui est très près de la cible internationale de 30 % d’ici 2030.