Si vous remboursez entièrement votre prêteur, les conditions rattachées au prêt tombent, normalement. J'étais donc convaincu qu'il en était de même pour l'énorme prêt consenti par la Caisse de dépôt à SNC-Lavalin en 2017.

La question n'est pas superflue, car en contrepartie du financement accordé, la Caisse a imposé à SNC-Lavalin qu'elle maintienne son siège social à Montréal pendant sept ans, soit jusqu'en juillet 2024, entre autres. Advenant le remboursement complet du prêt d'ici là, avais-je compris, l'exigence de maintien du siège social tombait.

Or, après ma chronique parue samedi, la Caisse m'a rappelé pour me faire part de mon erreur d'interprétation de ces conditions. Et en poussant plus loin la question, j'ai appris plusieurs éléments fort intéressants, notamment l'étendue des conditions de la Caisse.

Tel qu'écrit dans ma chronique, donc, SNC-Lavalin pourra rembourser dès juillet 2021 la portion résiduelle de son prêt à la Caisse, même s'il échoit seulement en 2024. Cette portion résiduelle est maintenant de 400 millions sur 1,5 milliard avec la transaction de l'autoroute 407. J'en concluais que SNC pourrait racheter l'indépendance de son siège social d'ici deux ans (en 2021) moyennant 400 millions.

Cette information est inexacte. D'abord, le financement de 2017 comprenait non seulement un prêt de 1,5 milliard, mais également une injection de 400 millions de dollars au capital de SNC (achat de 7,8 millions d'actions ordinaires du trésor de l'entreprise, soit 4,5 % du total des actions). Et les conditions de maintien du siège social sont donc non seulement liées au prêt, mais aussi à ce bloc de 4,5 % d'actions détenues par la Caisse (l'institution détient aussi d'autres actions, pour un total de presque 20 % aujourd'hui).

En toute logique, si la Caisse reçoit le remboursement résiduel de son prêt (400 millions) en 2021, et se défait de son bloc de 4,5 % d'actions d'ici là, les exigences de maintien de siège social devraient tomber, non ?

Réponse de la Caisse : non, étonnamment. La clause du siège social serait encore en vigueur jusqu'en 2024 même si la Caisse réduit sa participation de l'équivalent de ce bloc de 4,5 %, me dit le porte-parole Maxime Chagnon. La raison : il ne serait pas vraiment possible de distinguer quelles actions parmi les 20 % détenus auraient été vendues sur le marché, d'où le maintien jusqu'en 2024, explique-t-il.

Les patrons doivent résider au Québec

Le prospectus de ce financement de 2017 donne des détails intéressants sur les exigences de maintien du siège social. On y précise que SNC-Lavalin s'engage à faire en sorte que « la prise de décisions stratégiques continuera d'être concentrée à Montréal ».

De plus, jusqu'en 2024, « une partie importante de l'équipe de direction de SNC, dont le chef de la direction [actuellement Neil Bruce], devra résider au Québec. Autre élément : une forte proportion du conseil d'administration devra également être résidant du Québec ou du Canada, au-delà des exigences légales.

Ces éléments qui définissent le rôle d'un siège social et ses paramètres ne sont pas anodins. Ils évitent qu'une transaction avec une firme étrangère transforme le siège social montréalais en siège régional puis en bureau administratif, comme on le voit souvent.

Par ailleurs, le prospectus indique que la Caisse aura essentiellement le droit, si elle contrôle 10 % ou plus des actions, de nommer un candidat au conseil d'administration de SNC-Lavalin. De plus, « SNC-Lavalin convient de consulter la Caisse avant de nommer un nouveau président du conseil d'administration », précise le prospectus.

Ces deux dernières conditions touchant la gouvernance ne sont pas limitées dans le temps. Elles restent en vigueur tant que la Caisse détient 10 % ou plus des actions de l'entreprise, est-il indiqué au prospectus de 2017 de SNC, ce que me confirme la Caisse.

Au bout du compte, le prospectus du financement de 2017 nous apprend que la Caisse a solidement attaché le siège social de SNC-Lavalin pour les prochaines années. L'information est pertinente aujourd'hui sachant les craintes de voir la firme de génie déménager dans la foulée des procédures criminelles au fédéral.

Les investisseurs sont intéressés par ce genre de renseignements, dans la mesure où le veto de la Caisse sur le siège social est de nature à freiner les acquéreurs potentiels de SNC, ce qui pèse sur la valeur du titre. Plus le veto est rigide, plus le titre en souffre, et inversement.

Cela dit, une entreprise est davantage sujette à une offre d'achat étrangère lorsque son titre boursier est bas, ce qui est le cas actuellement. La meilleure façon de contrer une telle offre, c'est de faire croître fortement la valeur de l'entreprise en prenant de bonnes décisions d'affaires... et en levant l'hypothèque d'une poursuite criminelle.