Les employés de la Caisse de dépôt et placement sont-ils surpayés? Cette question, je me la pose depuis le printemps dernier, après avoir constaté que la rémunération y a explosé ces dernières années. Même que des concurrents s'en plaignent, après avoir perdu des employés clés au profit de la Caisse.

Or, en fouillant, j'ai fait des découvertes fort intéressantes. D'abord, la rémunération des employés à la Caisse n'est pas sans limites, ai-je appris, elle est plafonnée par un règlement décrété par le gouvernement du Québec.

Surtout, ce plafond est pratiquement atteint pour certains employés administratifs, compte tenu du boom de la rémunération. En particulier, deux cadres supérieures, Maarika Paul et Kim Thomassin, sont presque rendues à la limite, fixée au 75e centile du marché de référence dans leur cas.

En 2017, Maarika Paul, cheffe de la direction financière, a ainsi obtenu 1,33 million, alors que le plafond réglementaire est estimé à 1,4 million. Quant à Kim Thomassin, cheffe des affaires juridiques, elle a touché 1,27 million, soit un peu moins que sa limite de 1,34 million.

Dit autrement, ces employées ne pourront toucher bien davantage au cours des prochaines années, sous peine d'entrer en infraction avec le règlement, même si l'excellence de leur travail leur donnait droit à une prime plus généreuse.

D'autres employés administratifs, non liés à l'investissement, ont aussi atteint le plafond de 75e centile du marché, selon mes recherches(1).

Différent... du marché

Ce constat, je n'ai pu le faire en lisant simplement le rapport annuel. En effet, la méthode qui y est utilisée s'écarte significativement des normes usuelles, ce qui a pour effet de sous-estimer la rémunération des cadres supérieurs lorsqu'on la compare avec le marché.

Pour comprendre, il faut savoir qu'une grande partie des primes attribuées à la Caisse est payée trois ans plus tard. Ainsi, la somme qui est présentée pour 2017 est en réalité le reflet des primes attribuées en 2014, qui étaient alors bien plus basses.

Cette présentation s'écarte de la méthode habituelle du marché, notent les experts Yvan Allaire, de l'Institut pour la gouvernance (IGOPP), et Michel Magnan, de l'Université Concordia. Les entreprises en Bourse - auxquelles la Caisse se compare - inscrivent normalement les primes à long terme dans l'année où elles sont attribuées.

Cette pratique vaut «même si la somme n'est pas encaissable avant quelques années», dit Yvan Allaire.

Le report de l'inscription trois ans plus tard serait justifié si les cadres n'étaient pas certains d'empocher, par exemple si leurs versements étaient conditionnels à l'atteinte de certaines cibles au fil des ans.

Or, ce n'est pas le cas, me confirme la Caisse : ces primes sont encaissables quoi qu'il advienne, même si les cadres partent avant l'échéance de trois ans, par exemple. Ce fut justement le cas de Christian Dubé quand il est passé à la Coalition avenir Québec.

Dans le cas de Maarika Paul, la Caisse estime dans son rapport annuel que sa rémunération a été de 1,03 million en 2017, ce qui inclut la prime attribuée il y a trois ans (325 000 $). La méthode courante du marché, qui prendrait plutôt la prime de 700 000 $ de 2017, obtiendrait une somme de 1,33 million(2). Cette rémunération s'approche très près du plafond réglementaire.

Même constat pour Kim Thomassin : la Caisse inscrit une rémunération de 709 500 $, alors qu'il faudrait plutôt parler de 1,27 million. La prime à long terme allouée en 2017 pour Mme Thomassin est de 560 000 $, mais aucune prime n'a été prise en compte dans la comparaison en 2017, puisque Mme Thomassin n'était pas au service de l'institution il y a trois ans.

... et de ses normes et règlements

Cette présentation de la Caisse diffère non seulement de la méthode courante du marché, mais également de ses propres règles comptables. En effet, dans ses dépenses de 2017, l'institution inclut toutes les primes allouées dans l'année, même celles de ses cadres supérieurs différées sur trois ans, me confirme la Caisse.

Autre élément : la Caisse ne compare pas la rémunération de ses patrons tel que le décrit le règlement. La comparaison doit porter sur la «rémunération globale» et inclure non seulement le salaire et les primes, mais également le régime de retraite(3). Dans le rapport annuel de la Caisse, le régime de retraite, parfois très généreux, est présenté séparément et n'est pas comparé avec le marché.

Enfin, dernier élément : le marché utilisé par la Caisse pour comparer ses cadres administratifs soulève des questions. Le règlement stipule que «le marché est celui du Québec et il comprend notamment les emplois du secteur public». Or, sur les 51 entreprises comparées, seules 5 sont du secteur public. Cette sous-représentation d'employés publics, souvent payés une fraction du salaire du privé, avantage les employés administratifs de la Caisse(1).

La Caisse s'explique

J'ai eu de nombreux échanges avec la Caisse. D'abord, l'institution affirme présenter les primes versées plutôt qu'attribuées pour le PDG et les cinq premiers vice-présidents, car «ils ont des seuils beaucoup plus élevés de coïnvestissement obligatoire [55%]» de ces primes que les autres employés (de 25 à 35%).

L'institution n'a pas voulu me fournir le rapport de la firme Towers Watson qui a effectué les comparaisons avec le marché, car elle a argué que les données sont «potentiellement de nature compétitive et confidentielle, en plus d'impliquer de l'information produite par des tiers».

Cependant, elle a consenti à me donner une estimation des renseignements sur les régimes de retraite non divulgués dans le rapport annuel. Ainsi, Maarika Paul a eu droit à une contribution de retraite de 89 900 $ en 2017, alors que la comparaison pertinente dans le marché oscillerait entre 109 400 $ et 162 300 $. Dans le cas de Kim Thomassin, la contribution de la Caisse a été de 136 500 $ en 2017, tandis que le marché pertinent varierait entre 93 300 $ et 129 200 $.

Même en ajoutant ces chiffres à leur rémunération directe et aux données du marché, le plafond réglementaire est rigoureusement respecté, fait remarquer l'institution. Il l'est tout autant avec les données précises de Towers Watson, dit-elle.

Concernant le faible échantillon d'entreprises publiques dans la comparaison, Maarika Paul m'explique que la Caisse ne contrôle pas l'échantillon. Elle s'en remet aux démarches du consultant externe en rémunération et ce dernier est tributaire de la volonté des organisations de participer.

De plus, dit Mme Paul, il n'est pas toujours simple de recruter des cadres administratifs avec une échelle de rémunération qui, à la Caisse, est distincte de celle des employés liés à l'investissement. «Quand on va recruter des gens, bien qu'ils ne travaillent pas dans le secteur investissement, ils travaillent dans une boîte d'investissement. Parfois, on va chercher des gens qui pourraient tout aussi bien travailler en investissement», dit Mme Paul, qui est responsable non seulement des finances, mais également des ressources humaines(4).

Que penser de tout ça? Selon moi, la Caisse devrait améliorer la divulgation de sa rémunération, question de chasser toute ambiguïté et de nous permettre d'apprécier facilement si notre société publique respecte le règlement. Après tout, notre société publique fait partie du milieu financier, milieu qui a fait l'objet de nombreuses critiques pour ses excès de rémunération. Si nos institutions ne peuvent contribuer à freiner ces excès, qui le fera?

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(1) Les employés administratifs (ressources humaines, comptabilité, communications, etc.) sont ceux qui ne sont pas liés à l'investissement. La rémunération des cadres supérieurs et des employés qui sont directement liés à l'investissement, précisons-le, n'est pas près du plafond réglementaire, fixé au 90e centile du marché dans leur cas. De plus, leur marché de référence ne comprend pas d'entreprises du secteur public.

(2) De ce calcul est soustrait le rendement des 325 000 $ coïnvestis dans le portefeuille de la Caisse entre 2014 et 2017, de 75 599 $.

(3) Tel que le stipule l'Annexe A de l'article 23 du règlement intérieur de la Caisse approuvé par décret gouvernemental.

(4) À ces responsabilités se sont ajoutées en 2018 celles des «opérations et technologies».