La nouvelle est illogique et insensée, tous en conviennent. Elle est insensée, mais respirons par le nez deux minutes, voulez-vous ?

D'abord les faits : l'administration Trump imposera un tarif de 10 % sur nos produits d'aluminium et de 25 % sur ceux d'acier. En gros, on peut estimer qu'il en coûtera ainsi 2,25 milliards US (environ 2,9 milliards CAN) de plus aux importateurs américains pour se procurer nos produits .

Autrement dit, nos exportateurs deviendront moins concurrentiels sur le marché américain, à moins qu'ils ne compensent en réduisant le prix de leurs produits exportés de la même somme et donc rognent leurs profits.

Les exportations de produits d'acier et d'aluminium canadiens aux États-Unis totalisent environ 16,6 milliards CAN, répartis entre l'acier (40 %) et l'aluminium (60 %). Hier, le gouvernement Trudeau a répliqué que le Canada imposerait lui aussi une surtaxe sur certains produits d'acier ou d'aluminium et d'autres produits venant des États-Unis dont la valeur avoisinera aussi les 16,6 milliards.

La nouvelle est insensée, puisque les deux gouvernements empocheront des surtaxes respectives de quelque 2,9 milliards CAN, ce qui privera les entreprises et ultimement les consommateurs des bienfaits d'un commerce sans entrave.

La nouvelle est illogique, mais respirons par le nez, disais-je. D'une part, le secteur visé par ces sanctions commerciales représente moins de 5 % du commerce de marchandises entre les deux pays. Les échanges bilatéraux Canada-États-Unis avoisinent les 675 milliards, selon Statistique Canada, répartis entre les exportations canadiennes de quelque 400 milliards et les importations canadiennes (environ 275 milliards).

L'IMPACT DU HUARD

D'autre part, le montant des tarifs doit être mis en perspective avec l'évolution des monnaies des deux pays, soit le huard canadien et le « greenback » américain.

Hier, le huard clôturait la journée à 77,18 cents US. Depuis quatre mois, notre dollar est en baisse de 5 % par rapport à la devise américaine. Dit autrement, nos exportateurs bénéficient d'un « rabais » de 5 % sur leurs produits vendus sur le sol américain, ce qui représente la moitié du tarif annoncé hier par l'équipe Trump sur l'aluminium, le produit qui touche particulièrement le Québec.

Je sais bien que ce genre de « rabais » n'est pas instantané. Les entreprises ont des politiques de couverture de change pour éviter de subir les fluctuations de change, d'un côté ou de l'autre. Une baisse ou une hausse du huard à court terme ne change donc rien à leurs expectatives de profits.

À moyen et à long terme, cependant, un recul du huard finira par être bénéfique à nos exportateurs - dont les couvertures de change viendront à terme - et pourrait venir contrecarrer les tarifs imposés par l'oncle Trump sur l'acier et l'aluminium.

Il est difficile de savoir si cette baisse perdurera, bien sûr. Le recul du dollar canadien est davantage attribuable à la vigueur du « greenback » que l'inverse. En début d'année, le dollar américain montait face aux principales devises dans le monde en raison de la force de l'économie américaine et de la poussée des taux obligataires américains, analyse le service d'études économiques du Mouvement Desjardins.

Depuis quelque temps, le rebond s'explique surtout parce que le billet vert sert de valeur refuge aux investisseurs en ces temps d'incertitude dans les pays émergents et en Europe, avec l'instabilité italienne. Dans un cas comme dans l'autre, la tendance du billet est haussière.

Pour Desjardins, il n'est pas clair que ce mouvement se poursuivra, mais pour des économistes de Marchés des capitaux CIBC, le huard pourrait reculer jusqu'à 70 cents US au cours de la prochaine décennie.

Il faut respirer par le nez, disais-je, et pour mieux y parvenir, je vous invite à regarder dans le rétroviseur. En juillet 2014, il y a à peine quatre ans, le huard avoisinait les 93 cents US. La baisse d'environ 17 % depuis lors est donc bien supérieure aux tarifs américains sur l'aluminium et représente les trois quarts de ceux sur l'acier.

En remontant plus loin, on constate que le dollar canadien atteignait 1,06 $ en avril 2011 et que la valeur de notre monnaie est en baisse de 27 % depuis.

Enfin, troisième élément : nos entreprises exportatrices continueront de voir leurs produits d'aluminium et d'acier vers les États-Unis moins taxés que ceux des Européens, qui ne bénéficient pas d'un libre accès au marché américain actuellement.

Bref, bien que nuisibles à nos entreprises, les tarifs sur l'acier et l'aluminium ne feront pas, à eux seuls, couler notre économie.

La crainte, dans ce cas-ci, c'est davantage que cette agression commerciale américaine ne soit le prélude à la mise au rancart du libre-échange tel qu'on le connaît. « J'ai l'impression que ces tarifs vont nuire à l'éventualité d'un nouvel accord de libre-échange. Trump ne bluffe pas : il est réellement protectionniste », dit Stéphane Paquin, professeur à l'École nationale d'administration publique (ENAP).

Souhaitons que le chaotique personnage perde sa majorité républicaine au Congrès lors des élections de mi-mandat...