Ainsi, l'Autorité des marchés financiers (AMF) et l'Unité permanente anticorruption (UPAC) seraient au coeur d'un système de collusion ? Les deux principaux chiens de garde de la probité de notre système se seraient secrètement entendus pour frauder ?

Ces allégations lancées par l'analyste Annie Trudel sont énormes. Une vraie bombe. Mais personnellement, je n'en crois pas un mot. Pourquoi ? Eh bien parce qu'Annie Trudel n'a pas avancé le début d'une once de preuve à ce sujet. Du moins, pas encore.

Qui donc bénéficierait d'un avantage indu à l'AMF ou à l'UPAC provenant de cette présumée collusion ? Silence radio. Quelle forme cet avantage prend-il, est-ce une enveloppe, un contrat, un retour d'ascenseur douteux ? Motus. Comment fonctionne le stratagème ? Mystère.

Essentiellement, Annie Trudel affirme que l'AMF participe à un système de collusion dans le cadre du processus de vérification de l'intégrité des entrepreneurs appelés à soumissionner à des contrats publics. L'AMF dirigerait les entrepreneurs vers une firme privée, qui facturerait de gros honoraires.

Est-ce vraiment le cas ? Et le cas échéant, où est précisément la collusion ? Compte tenu de la gravité des propos, on se serait attendu à avoir un minimum de chair autour de l'os, mais non, rien. Et elle n'a pas voulu m'en dire plus à ce sujet hier.

Pour l'instant, donc, ces déclarations sont gratuites. Et elles ne font qu'alimenter le cynisme et miner la confiance du public envers nos institutions, ce qui est grave.

L'affaire devient carrément ésotérique quand Annie Trudel affirme avoir été arrêtée avec Guy Ouellette par l'UPAC parce qu'elle s'apprêtait justement à faire ces révélations.

Hier matin, le consultant Donald Riendeau, qui dit travailler avec Annie Trudel, est venu rajouter une couche de suspicions à cette affaire dans une lettre au Devoir. L'auteur dit ne pas soutenir les allégations d'Annie Trudel, mais sa lettre contient beaucoup d'allusions à la collusion dont elle parle, et évoque même directement une possible corruption de l'AMF.

« Est-ce pour autant qu'il existe un système de corruption ? Il faut faire attention. La définition de la corruption selon l'OCDE est assez large et pourrait laisser croire qu'il y a de la corruption. Mais il serait beaucoup plus difficile de la démontrer au sens du droit criminel », écrit-il.

Sous-entendu : il y a de la corruption telle que définie par l'OCDE, mais ce ne sera pas prouvable devant un tribunal...

Vérification faite, la définition de la corruption de l'OCDE n'a pas le sens large dont il parle. Peu importe la lorgnette qu'on prend, la corruption implique toujours un agent public, un avantage indu et un enrichissement illicite au détriment de la population.

Hier, j'ai eu une conversation téléphonique avec Donald Riendeau. Il dirige une firme qui, dans le contexte, a un nom étonnant : l'Institut de la confiance dans les organisations (ICO). Le consultant n'a pas été en mesure de m'expliquer précisément en quoi la neutralité du processus de l'AMF est vicié.

Sa lettre dans Le Devoir nous donne toutefois un meilleur aperçu de la source de ces allégations de collusion ou de corruption. Il s'agit des entreprises qui se sont vu refuser l'attestation d'intégrité de l'AMF ou qui ont dû recourir à un consultant pour se conformer aux exigences d'intégrité.

Sur les 3700 entreprises passées au crible par l'UPAC et l'AMF depuis 2013, 150 ont reçu un avis défavorable. De ce nombre, une vingtaine ont finalement été jugées non admissibles aux contrats publics, soit 0,5 %. Leur rejet vient essentiellement d'infractions passées au Code criminel, à la Loi sur la concurrence ou à la Loi sur les valeurs mobilières, notamment.

Les 130 autres ont apporté des correctifs à leur pratique, notamment fiscaux, pour montrer patte blanche. Ces correctifs ont nécessairement été faits à l'aide d'une firme privée. L'AMF nie catégoriquement suggérer le nom de firmes et précise qu'à ce jour, une centaine de firmes ont accompagné les entreprises dans ce processus. Pas une, ni 10, mais 100 !

Que des entreprises se plaignent de la Loi sur l'intégrité, soit. Qu'elles jugent le processus pour montrer patte blanche trop complexe, partial ou trop coûteux, soit. Qu'elles critiquent l'industrie de consultants qui a ainsi été créée, fort bien. Toutes ces doléances peuvent être légitimes. Mais on est loin de la collusion.

Il est donc renversant que le gouvernement ait mandaté la vérificatrice générale pour faire enquête sur cette affaire. Renversant d'autant plus qu'elle a été lancée par une analyste, Annie Trudel, dont les précédentes allégations de graves irrégularités à l'endroit du ministère des Transports ont été, pour l'essentiel, jugées sans fondement par le VG en juin dernier.

Dans le climat actuel, malheureusement, le gouvernement libéral ne peut faire autrement que de recourir au VG. Pourquoi ? Pour éviter de se faire accuser de cacher quelque chose et de faire grossir la suspicion à son endroit. Et pour ne pas apporter d'eau au moulin de l'opposition.

La prochaine étape des accusateurs sera d'attaquer la crédibilité de la vérificatrice générale. D'affirmer qu'elle est en conflit d'intérêts, puisque lorsqu'elle était au privé, son entreprise a obtenu de gros contrats de l'AMF.

La question se pose, sauf qu'on est complètement ailleurs. La VG n'aurait pas dû être mandatée pour faire ce travail - du moins, pas encore -, compte tenu de la minceur des allégations.

En attendant, les Québécois doutent de leurs institutions, encore une fois... Misère.