Changeons un peu les questions, voulez-vous ? Ajoutons aux énoncés du sondage CROP certains éléments permettant aux répondants de mieux soupeser leurs réponses.

« Les gouvernements doivent-ils investir des fonds publics dans le train électrique [REM]... sachant que chaque contribuable imposable devra ainsi verser 610 $ la première année, en plus de 45 $ par année au cours des 30 prochaines années (1) ? »

Moins tentant de répondre oui, n'est-ce pas ?

Ou encore : « Les gouvernements devraient-ils investir dans la construction d'un stade de baseball... sachant que chaque Montréalais devra ainsi débourser 150 $ de sa poche pour ce faire (1) ? »

À n'en pas douter, les réponses favorables aux projets chuteraient si l'on en précisait les coûts. De la même façon que les sondages récoltent invariablement une majorité de Non lorsqu'on demande aux citoyens s'ils sont favorables à une quelconque nouvelle taxe.

Ce constat ne signifie pas que tous les projets ne sont pas valables et qu'il faut fermer complètement le robinet des fonds publics. Il signifie plutôt qu'en général, plus la source de financement est floue et loin des citoyens, plus les gens sont favorables aux projets, et inversement.

Comme on pouvait s'y attendre, les répondants âgés sont moins favorables au financement public de projets (11 questions sur 13) que les plus jeunes. L'expérience aidant, les contribuables plus vieux sont probablement plus conscients des coûts.

Oui, mais les projets ont aussi des effets positifs sur l'économie, sur la culture, sur l'architecture, me direz-vous ?

Ne serait-il pas injuste d'insérer dans les questions la facture des projets proposés sans parler des retombées ?

Vous avez bien raison. Et justement, je suis plutôt fier des réponses des Québécois aux diverses questions posées, dans la mesure où les projets qui recueillent le plus d'appuis sont généralement ceux qui offrent les meilleures retombées.

Ainsi, règle générale, les Québécois apparaissent favorables aux projets de transports en commun, mais sont majoritairement contre le financement d'événements sportifs. Les trois quarts des répondants voient le train électrique d'un bon oeil, mais seulement le tiers accepteraient de consacrer des deniers publics à un éventuel stade des Expos.

Or, les études vont dans le même sens : les retombées économiques des transports en commun, compte tenu des coûts environnementaux de la voiture, sont largement supérieures à celles qu'entraînerait la présence d'une équipe de baseball, par exemple.

Les retombées des transports collectifs sont évidemment concentrées dans les secteurs densément peuplés. Et elles dépendent du degré d'adhésion de la population : les résidants de la région de Montréal délaisseront-ils leurs autos pour prendre le train ?

Tout de même, le gouvernement fédéral devrait prendre bonne note de l'appui des Québécois au REM, lui qui tarde à confirmer sa participation au financement du projet de la Caisse de dépôt et placement.

3,5 MILLIONS PAR EMPLOI

Cela dit, l'appui aux projets recèle aussi une touche affective, émotive, irrationnelle. Les Québécois sont largement favorables (70 %) aux subventions à l'achat de voitures électriques, vraisemblablement parce que ces voitures contribuent à la populaire lutte contre les gaz à effet de serre. En revanche, ils appuient également le coûteux et polluant projet de cimenterie en Gaspésie (58 %), probablement parce qu'il vient en aide à une région durement éprouvée.

Ironiquement, la cimenterie de Port-Daniel, projet auquel participe la famille Beaudoin-Bombardier, reçoit un appui public bien plus grand (58 %) que l'autre projet de la même famille (37 %), l'avion C Series, alors que la cimenterie créera bien moins d'emplois.

La cimenterie créera une centaine d'emplois directs permanents pour une contribution du gouvernement de 350 millions, soit l'équivalent de 3,5 millions par emploi. En comparaison, le C Series fera directement travailler 2000 personnes pour une contribution publique directe de 1,3 milliard, soit 650 000 $ par emploi.

Quoi qu'il en soit, les Québécois doivent se rappeler que l'État doit être parcimonieux dans son aide publique, puisque la plupart des subventions aux entreprises entraînent des distorsions dans l'économie.

Elles viennent gonfler artificiellement l'offre ou la demande pour un produit au détriment d'autres biens, entre autres, nuisant ainsi à l'allocation optimale des ressources.

Or, rappelons-le, le Québec est le champion des subventions au Canada, devant toutes les autres provinces. En 2015, les subventions se sont élevées à 653 $ par habitant au Québec - en excluant les garderies -, soit 29 % de plus que la moyenne canadienne.

Pendant ce temps, le revenu personnel disponible moyen des Québécois (après impôt) est au dernier rang au Canada, à 26 857 $...

(1) Les chiffres sont des estimations basées sur les coûts du REM rendus publics dans le dernier budget et sur un éventuel stade de 500 millions financé à 50 % par Montréal.