Imaginez la scène. Imaginez Philippe Couillard annonçant, dès la rentrée parlementaire, une subvention de 1 milliard de dollars pour abaisser la facture d'électricité des citoyens.

La nouvelle aurait sans doute réjoui plusieurs électeurs. Cependant, bien des observateurs auraient traité le premier ministre du Québec d'hérétique. Bien des environnementalistes auraient jugé qu'il s'agit de la pire manière de faire du développement durable, puisqu'une baisse du prix de l'énergie incite les citoyens à surconsommer.

Or, c'est exactement ce qu'a annoncé la première ministre libérale de l'Ontario, Kathleen Wynne, lors de sa propre rentrée parlementaire. Dès le 1er janvier 2017, les Ontariens bénéficieront d'une réduction de 8 % de leur facture d'électricité.

Le cadeau de 1 milliard prend la forme d'une baisse de la taxe de vente sur l'électricité ou plus précisément, de l'élimination temporaire de la portion provinciale de la taxe de vente sur l'électricité, avec mention spécifique sur la facture. Elle équivaut à une économie annuelle de 130 $ par ménage, en moyenne.

L'allégement est une nouvelle illustration du fiasco ontarien dans la gestion de l'énergie. Au fil des années, les mauvaises décisions politiques se sont succédé, tant et si bien qu'aujourd'hui, le prix de l'électricité en Ontario atteint des sommets et croît rapidement.

La subvention de 1 milliard défie toute logique économique. Elle est plutôt motivée par des impératifs purement politiques, soit le désarroi de bien des électeurs face à leur facture mensuelle d'électricité.

En Ontario, faut-il savoir, les résidants paient environ 13 cents le kilowattheure, soit deux fois plus qu'au Québec. Et c'est encore pire en région rurale : contrairement au Québec, les distributeurs refilent à leurs clients les coûts plus élevés de la distribution d'électricité en région qu'en ville.

Ainsi certains résidants en campagne acquitteraient une facture mensuelle de 400 $, le double d'il y a 10 ans. Tant et si bien que des citoyens débrancheraient leur four à micro-ondes ou cloisonneraient certaines parties de leur maison pour réduire leurs frais, rapporte un quotidien torontois. C'est ce qu'on appelle en Ontario la « pauvreté énergétique », qui force le gouvernement Wynne à accorder environ 20 % de baisse additionnelle aux gens des régions.

Pourquoi un tel gonflement du prix de l'électricité ces dernières années ? Pour diverses raisons. D'abord, les Ontariens doivent éponger la facture des développements imposants des éoliennes ces dernières années. Ensuite, ils doivent payer les prix fixes garantis et à long terme consentis aux producteurs par les gouvernements successifs.

Enfin, pour soutenir le développement économique, le gouvernement ontarien a implanté des mesures pour réduire les tarifs des entreprises au détriment des clients résidentiels. Au Québec, c'est plutôt le contraire : ce phénomène d'interfinancement favorise surtout les clients résidentiels au détriment des entreprises, puisque les frais de distribution de l'électricité facturés aux clients résidentiels sont bien plus bas que les coûts réels, ce qui n'est pas le cas pour les entreprises.

Malheureusement, les Ontariens ne sont pas au bout de leur peine : vétusté oblige, le gouvernement a entrepris un vaste programme de réfections des centrales nucléaires, qui fournissent plus de la moitié de l'électricité du réseau. Or, les rénovations de centrales sont des projets risqués, où les dépassements de coûts sont fréquents. Les prix pourraient donc grimper davantage.

« La situation ontarienne est bien pire qu'au Québec. Ils ont été obligés de réglementer les prix après les avoir déréglementés. Ils doivent à la fois vivre avec les défauts de la réglementation et les défauts du marché. C'est le pire système au monde », dit le professeur Pierre-Olivier Pineau, expert en politiques énergétiques de HEC Montréal.

UNE SUBVENTION QUI AIDE LES RICHES

Ironiquement, le milliard de dollars de subventions ne soulagera pas particulièrement les pauvres. En effet, la baisse de 8 % des tarifs bénéficiera bien davantage aux propriétaires de grandes maisons énergivores, généralement plus aisés.

Qui plus est, le milliard sera financé par les impôts des contribuables, bien sûr. Justement, pourquoi ne pas avoir plutôt choisi le système fiscal - progressif - pour aider les plus durement frappés par le gonflement de la facture d'électricité ? L'aide de 1 milliard de dollars aurait été autrement mieux ciblé.

Dit autrement, la mesure Wynne est inefficace pour l'économie d'énergie, inefficace pour soulager la pauvreté et inefficace pour relancer l'économie. Elle permet toutefois à Mme Wynne, à court terme, de faire montre d'empathie envers une partie de l'électorat, à 20 mois des élections...