Répondez rapidement: quelles étaient les origines ethniques de vos ancêtres ? Au-delà de vos grands-parents ?

Dans la salle de rédaction, la majorité m'a spontanément répondu françaises. D'autres m'ont dit écossaises, anglaises, suédoises, irlandaises, acadiennes. Ou un mélange de tout cela. Surtout, surtout, personne parmi la douzaine de répondants n'a eu comme premier réflexe de répondre « canadiennes ».

D'origine ethnique canadienne ? Ben non, voyons, canadienne n'est pas une ethnie, c'est une nationalité.

Si tel est le cas, pourquoi donc, à la question 17 du fameux recensement de Statistique Canada, donne-t-on « canadien » comme première suggestion de réponse ? La liste de suggestions comprend tout ce qu'on peut imaginer, notamment français et anglais, mais aussi italien, écossais, allemand, philippin, polonais, portugais, vietnamien, libanais, iranien.

On y trouve aussi des Premières Nations, comme cri, mi'kmaq, salish, inuit et même métis. Quelle est votre origine, monsieur Riel ? Métis. Et vous, madame Gagnon ? Euh... française. Oui, mais madame Gagnon, les suggestions comprennent canadienne, anglaise, chinoise... Ah, alors canadienne, je présume.

Avouez que la question et les suggestions prêtent à confusion. Pour certains de mes collègues, nos origines françaises remontent à si loin qu'on devrait plutôt se dire, euh... se dire quoi ?

La plupart auraient répondu spontanément canadien-français, s'ils avaient eu ce choix, comme d'autres pourraient répondre métis. Le terme québécois est considéré comme trop récent pour parler d'origine.

De fait, il y a très longtemps, les Canadiens parlant français (et non anglais) se disaient Canadiens, puis Canadiens français. Au fil de l'histoire, ce groupe s'est plutôt approprié le terme Québécois - pour ceux qui vivent au Québec - et maintenant Québécois français ou franco-Québécois.

Dans les années 60, le chansonnier Claude Gauthier avait même changé les paroles de sa chanson Le grand six-pieds, qui raconte la dure vie de nos ancêtres bûcherons. La version originale de 1960 qui clamait « Je suis de nationalité canadienne-française » est devenue « Je suis de nationalité québécoise-française ».

Bon, j'avoue, la question 17 de Statistique Canada contient le mot « culturelles » et se lit plus précisément : « Quelles étaient les origines ethniques ou culturelles » de vos ancêtres ? De plus, les cases adjacentes invitent à donner jusqu'à huit réponses. N'empêche, la suggestion « canadien » vient nettement biaiser les résultats.

Le Canada compte environ 50 000 Inuits et 60 000 Mi'kmaq (ou Micmacs), et leur ethnie d'origine très lointaine mérite assurément de figurer sur la liste. Mais comment se fait-il que le recensement d'un des organismes de statistiques les plus crédibles au monde en vienne, par cette question, à occulter l'origine du peuple, de la nation, du groupe distinct que constituent les Québécois ou du moins les Canadiens français ?

Le Québec compte 6,2 millions de personnes ayant le français comme langue maternelle et le Canada, 7,3 millions.

LA FAUTE AU TORONTO STAR

Pour trouver la réponse, il faut remonter aux années 90. Répondant à une campagne du quotidien Toronto Star, en 1991, des milliers de répondants anglophones au recensement ont alors répondu « canadien », bien que ce choix d'origine ethnique ne figurait pas sur la liste. Devant le très grand nombre de réponses, Statistique Canada a ajouté ce choix dans ses suggestions au recensement suivant, en 1996.

D'ailleurs, à Statistique Canada, on m'indique que les suggestions sont d'abord ordonnées selon le nombre de réponses du précédent recensement, ce qui explique que ce soit canadien qui figure en premier, suivi d'anglais, chinois, français, etc.

Oui, mais mi'kmaq, salish, métis, iranien ?

Statistique Canada me répond qu'en fait, 19 des 28 suggestions représentent les origines uniques les plus souvent déclarées, par ordre décroissant d'importance. Les neuf autres ont été incluses pour représenter les peuples autochtones ou les groupes ethniques nouvellement arrivés.

Dit autrement, la question de Statistique Canada, depuis la campagne du Toronto Star, introduit un biais dans les réponses, ce qui a pour effet d'éloigner les résultats de l'objectif premier de l'organisme, soit de dépeindre la diversité des origines du Canada.

Ou encore, si l'on accepte que « canadien » est une origine ethnique, la question 17 fait disparaître des statistiques les origines canadiennes-françaises des Québécois et autres francophones du Canada, en amalgamant leurs réponses à la suggestion « canadien ».

Le plus ironique, c'est qu'aux États-Unis, l'équivalent de Statistique Canada inscrit « French Canadian » comme suggestion d'origine ethnique, un ajout en 1980 qui a fait bondir le nombre de réponses.

Ainsi, en 2014, le Census Bureau estimait à 2,1 millions le nombre de personnes se déclarant d'origine canadienne-française, trois fois plus qu'en 1980. Plus surprenant encore : selon le même Census Bureau, seulement 0,7 million se disent d'origine canadienne, trois fois moins que les « French Canadian » !

Précisons qu'à l'inverse, Statistique Canada n'inclut pas dans ses suggestions - beaucoup moins nombreuses qu'aux États-Unis - la réponse « américain ».

Devrait-on faire comme le Toronto Star en 1991 et inciter les Québécois à inscrire canadienne-française ou québécoise comme origine ethnique, question de souligner une origine distincte, comme le font les citoyens d'origine salish ou portugaise ?

Enfin, pour ceux qui s'interrogent, mon nom Vailles est d'origine française récente, tandis que le nom de ma mère, Lessard, remonte à la première famille du même nom qui a immigré en Nouvelle-France dans les années 1600. Je suis d'origine française-canadienne-française, quoi !