« Pour David et Neera, la dette [familiale] représente une source constante d'inquiétude. Ils ont pris une marge de crédit afin de réparer le toit de leur maison, mais cette réparation a fait monter leurs factures, ne laissant qu'une mince marge de manoeuvre pour les vêtements de la rentrée scolaire et les vacances familiales. »

Non, l'histoire de ce couple n'est pas tirée d'un roman en vogue ou d'un magazine de finances personnelles. Elle vient du premier budget fédéral du Parti libéral, qui marque un changement de cap majeur par rapport aux budgets du gouvernement précédent. Je couvre les budgets depuis près de 25 ans et jamais n'ai-je vu une transformation aussi marquée, que ce soit à Québec ou à Ottawa.

Tenez, la troisième page du budget s'inquiète de la stagnation du revenu médian des Canadiens depuis 40 ans, la sixième page traite de la montée des inégalités entre les millionnaires et la classe moyenne et la huitième page parle de « Neera qui adore amener ses filles au marché le samedi matin ». Tout un changement par rapport au ton austère et aux restrictions budgétaires des conservateurs !

Le changement n'est pas qu'une affaire de ton. La philosophie économique des libéraux se traduit par des mesures concrètes, qui touchent une clientèle multiple, mais plus particulièrement la « classe moyenne », une expression que Bill Morneau reprend six fois dans les cinq premiers paragraphes de son premier communiqué.

Ces derniers bénéficient de la baisse de leur taux d'imposition, mais également d'allocations familiales plus généreuses, deux mesures qui coûteront 6,5 milliards par année à partir de 2017-2018. Les fonds de ces mesures viennent notamment d'une hausse d'impôts du groupe des 1 % les plus riches et de l'abandon du fractionnement du revenu des conservateurs.

Autre élément marquant : le traitement des anciens combattants. Le gouvernement Harper avait des relations très tendues avec ces ex-militaires, alors que le gouvernement Trudeau leur verse notamment, dans ce budget, un paiement rétroactif de 10 ans qui s'élève à 3,7 milliards de dollars. Changement de cap majeur, vous dites ?

Les syndicats et les conservateurs ont toujours été comme le feu et l'eau. Or, le budget Morneau ramène à 15 % le crédit d'impôt pour les fonds de travailleurs (Fonds FTQ), finance la formation en milieu syndical (85,4 millions sur cinq ans) et abolit les dispositions conservatrices qui permettaient au gouvernement de modifier unilatéralement les congés de maladie de ses employés.

Un des éléments les plus marquants du budget pour les personnes âgées à faible revenu concerne les prestations de Sécurité de la vieillesse. Le budget Morneau ramène de 67 à 65 ans l'admissibilité à ce programme social canadien.

Les conservateurs avaient annoncé le changement progressif à partir de 2023. Ce renversement n'a pas d'incidence sur le budget de 2016, mais il aurait obligé des travailleurs âgés pauvres à planifier une prolongation de carrière.

La transformation du programme d'assurance-emploi est un autre élément phare du budget Morneau. Rappelez-vous la grogne qu'avaient provoquée les restrictions conservatrices dans les Maritimes et au Québec. Le gouvernement Harper cherchait à inciter les gens de l'est du pays à sortir du chômage pour travailler notamment dans l'Ouest pétrolier, où les emplois abondaient.

Hier, le gouvernement Trudeau a apporté des changements qui coûteront 1,45 milliard par année à partir de 2017-2018. Entre autres, on a réduit le délai de carence pour le faire passer de deux à une semaine, mais surtout prolongé de 20 semaines dans certains cas la durée des prestations, à 70 semaines. Ces changements profiteront, ironiquement, aux nouveaux chômeurs de l'Ouest.

Évidemment, ce sont les travailleurs (40 %), mais surtout les employeurs (60 %) qui financeront ces changements, ce qui irrite les associations patronales. Sous les conservateurs, le taux de cotisation des travailleurs devait passer de 1,88 $ à 1,47 $ par 100 $ de rémunération l'an prochain (celui des employeurs suivant proportionnellement), mais les mesures libérales et les chômeurs plus nombreux hausseront ce taux à 1,61 $.

Les entreprises ne sont visiblement pas la priorité des libéraux, à l'inverse des conservateurs. Ces derniers avaient promis une baisse progressive du taux d'imposition des PME à 9 %. Or, volte-face des libéraux, le taux fédéral restera à 10,5 %, une économie annuelle de près de 1 milliard à terme.

Bref, la philosophie économique des libéraux tranche nettement avec celle des conservateurs, ce qui transparaît dans ce budget. En espérant que David, Neera et leurs enfants ne souffriront pas de la série de déficits prévus par le PLC avec ces changements.