Chers médecins, je vous entends. Je constate à quel point le débat entourant votre rémunération vous démotive, surtout dans un contexte où Gaétan Barrette vous demande d'être plus productifs pour répondre aux besoins des patients.

Je reconnais que des citoyens en colère vous regardent de travers, qu'ils vous attribuent injustement les maux du système de santé. Certains envient votre paye sans égard à vos responsabilités et compétences, comme ils envient bien souvent ceux qui font de l'argent, en général, probablement par réflexe judéo-chrétien.

Jeudi dernier, ma chronique sur l'incorporation des médecins vous a fait bondir. Un des vôtres m'écrit essentiellement que depuis quelque temps « la campagne de lynchage médiatique où l'on tente de nous faire passer pour des abuseurs et même des voleurs a un effet dévastateur sur le moral des troupes médicales et démobilisateur ».

Hier, ma collègue Suzanne Colpron faisait valoir que les médecins ne sont pas les gras durs qu'on décrit, qu'ils souffrent davantage de problèmes de santé mentale que le reste de la population, compte tenu de leur travail. Pour ma part, j'ai également constaté à quel point le stress vous afflige, voyant la grande popularité des séminaires sur la gestion du stress. Pas de doute, vous méritez une bonne paye.

Je vous comprends, mais en même temps, je m'interroge. Je suis dubitatif. Je m'interroge parce que vos syndicats - et bien des médecins - continuent de défendre vigoureusement vos conditions de rémunération malgré les preuves qui se multiplient.

Le vérificateur général a dénoncé les incohérences gouvernementales dans votre rétribution, notamment le système de primes, et votre rémunération est maintenant équivalente à celle de l'Ontario, même si le Québec est plus pauvre. À cela s'ajoutent les avantages de l'incorporation.

Pourquoi nier ? Devant ces faits, votre cheval de bataille ne devrait-il pas être l'obtention d'un meilleur environnement de travail plutôt qu'un maintien de la rémunération ?

Vos syndicats ne devraient-ils pas clamer haut et fort que désormais, la rémunération n'est plus un enjeu, que les médecins sont prêts à faire certaines concessions à ce chapitre en échange d'un travail mieux adapté à votre dure réalité ?

Pourquoi ne pas militer pour une rémunération qui tiendrait compte d'un rôle accru des infirmières, du travail d'équipe, d'une prise en charge des patients en fonction de la prévention, etc. ? La sympathie que vous gagneriez dans le public serait énorme. Et la grogne disparaîtrait.

Dans ma chronique de jeudi, je m'élevais contre certains avantages fiscaux dont bénéficient les médecins qui s'incorporent. Plus spécifiquement, je me demandais pourquoi les médecins incorporés peuvent fractionner leurs revenus avec leur conjoint, leurs enfants ou une fiducie, ce que ne peuvent faire les autres contribuables.

Certes, bien des médecins justifient leur incorporation par le fait que leur rémunération est brute et qu'il leur faut retrancher bien des dépenses d'entreprise (loyer, personnel, équipements, etc.), une chose que je ne conteste pas. De plus, ils invoquent que leur société leur permet de se constituer un fonds de retraite, ce que le gouvernement ne leur offre pas.

Il reste que les médecins n'ont qu'un client payeur, l'État, et que leur pratique comporte peu de risques. Alors, pourquoi leur consentir en plus le fractionnement de revenu comme les autres entrepreneurs ? Plus encore, pourquoi donner le bénéfice de l'incorporation aux médecins qui n'ont essentiellement pas de pratique en bureau privé et donc pas de dépenses à déduire ? À ce sujet, deux médecins m'écrivent : 

« Je suis médecin spécialiste non incorporé avec pratique mixte (hôpital et bureau privé). Je crois abusive l'incorporation de médecins qui n'oeuvrent qu'en milieu hospitalier où ils n'assument aucune dépense de bureau, de personnel et d'équipements tout en recevant la clientèle obligée de l'hôpital via son urgence et ses cliniques externes. Aucun risque d'entrepreneurship, de fidélisation de leur clientèle ou d'avoir à gérer du personnel. Le meilleur des deux mondes, quoi. Cinq de mes collègues sont dans cette situation, qui mérite d'être repensée. »

Une autre, en résumé : « Je ne me suis jamais plaint de mes conditions, mais depuis un an, les journalistes sont sur notre dos et ça me désole [...]. [Cela dit], je suis plutôt d'accord avec vous pour ceux qui n'ont aucuns frais de bureau, comme plusieurs spécialistes qui pratiquent exclusivement à l'hôpital avec infirmières, secrétaires, locaux, équipement gratuit, etc. »

J'ai le plus grand respect pour le travail exigeant de plusieurs d'entre vous. Et je pense que votre rémunération doit figurer parmi les meilleures de notre société. Mais vous devez le reconnaître : vos conditions sont maintenant très généreuses par rapport au reste des travailleurs du Québec. À vous de changer la nature du débat.