Hier matin, le choc : un autre siège social qui s'en va. Puis, le constat, implacable : la vente de Rona était devenue inévitable. Voici trois raisons qui expliquent pourquoi.

LE MAGOT

D'abord, parlons du magot offert aux actionnaires, notamment à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Depuis cinq ans, l'action de Rona est relativement stable en Bourse. Certes, il y a eu une remontée au printemps 2015, à environ 16 $ l'action, mais le titre a perdu des plumes, si bien qu'il s'échange à sa valeur typique des dernières années depuis quelque temps, soit 12 $.

Arrive l'offre du géant américain Lowe's : 24 $. Pardon ? Oui, oui, le double.

Pour la Caisse de dépôt, le profit espéré avoisine les 185 millions de dollars. Son rendement serait d'environ 66 % depuis 2012, beaucoup, beaucoup plus que ce que les épargnants peuvent obtenir avec un simple certificat de dépôt, par exemple.

La Caisse se gratte la tête. Comment conjuguer mes deux missions fondamentales dans ce contexte ? Dois-je favoriser le développement économique du Québec en gardant le contrôle de Rona ? Ou plutôt miser sur le rendement de mes déposants, soit les régimes de retraite des employés du secteur public et de la construction, entre autres ?

À 10 % ou même 30 % de rendement, la balance aurait probablement penché du côté de la première mission et l'offre aurait été refusée. La Caisse détenait d'ailleurs 17 % des actions de Rona pour dissuader tout acquéreur hostile. Et jusqu'en 2014, le tandem Caisse-Investissement Québec possédait même plus du quart des actions de Rona, selon un informateur fiable, une proportion probablement suffisante pour repousser un prédateur.

Mais à 66 % de rendement, la balance penche de l'autre côté : rejeter l'offre serait trop coûteux pour les déposants.

Essentiellement, c'est la chute du dollar canadien qui permet à Lowe's de muscler son offre par rapport à celle de 2012. À l'époque, le dollar se négociait à 97 cents US, contre moins de 73 cents hier. Cette baisse de 25 % du huard permet aujourd'hui à la Caisse et aux actionnaires d'empocher beaucoup plus avec l'offre de 3,2 milliards CAN.

LA PEUR

L'autre argument massue, c'est la peur. Rona a dû faire une sévère restructuration ces dernières années. L'entreprise a fermé 11 grandes surfaces au Canada anglais dans un contexte économique difficile. Et les défis des prochaines années sont « majeurs, majeurs », a déclaré hier le président du conseil de Rona, Robert Chevrier.

D'une part, le géant Lowe's tenait mordicus à accroître sa présence au Canada. L'entreprise a mis la main sur 14 baux de la défunte Target Canada dans des emplacements de choix au Canada. L'expansion de Lowe's aurait mis beaucoup de pression sur les marges de profit de Rona.

À cela s'ajoute le boom inévitable du commerce en ligne. « Il aurait fallu gérer de la décroissance dans un horizon de cinq ans. On aurait pu toffer encore un bout de temps, mais à un moment donné... », a essentiellement expliqué M. Chevrier.

LES FLEURS

Enfin, il y a les fleurs. En négociant de plein gré avec Lowe's, Rona a pu obtenir certaines garanties. Le siège social des activités canadiennes de Lowe's sera à Boucherville, ce qui obligera le président de Lowe's Canada, Sylvain Prud'homme, à déménager de Toronto à Montréal.

Lowe's s'engage à poursuivre l'approvisionnement local de Rona et à « potentiellement accroître les liens avec les fournisseurs canadiens ». L'entreprise promet aussi de garder les enseignes multiples de Rona et de garder le gros des employés et de l'équipe de direction.

« Il est difficile de déchirer sa chemise avec une telle transaction », dit l'expert Yvan Allaire, qui a décortiqué l'éventail de sièges sociaux au Québec.

Cela dit, il ne faut pas se leurrer, la perte de contrôle de nos entreprises n'est jamais une bonne nouvelle. Le chef de la CAQ, François Legault, a raison de dire que les avocats, comptables et consultants informatiques de Montréal perdent au change quand nos Alcan, Astral et autres Cirque du Soleil glissent dans des mains étrangères.

Par exemple, Rona fait affaire avec la firme Raymond Chabot depuis de très nombreuses années. Difficile de penser que ce cabinet comptable conservera son plein mandat quand on sait que Lowe's confie plutôt ses chiffres à la firme Deloitte aux États-Unis.

Si nos entreprises fortes achètent autant à l'extérieur que l'inverse, le jeu des consolidations mondiales en vaut la chandelle. Toutefois, les prochaines années risquent de nous défavoriser en raison de la faiblesse du huard. Le mieux pour se prémunir contre cette tendance est encore de bâtir des organisations solides, innovatrices et en croissance dont la valeur est telle qu'elles sont inabordables pour les prédateurs.LA CAISSE DE DÉPÔT ET RONA (1)

Nombre d'actions : 18,2 millions

Prix d'achat moyen : 13,80 $

Profit de la transaction : 185 millions de dollars

1. Il s'agit d'une estimation, à partir des données du rapport annuel