Hausser les impôts des contribuables les plus riches, le fameux 1%, pour le redistribuer à la classe moyenne apparaît tout à fait justifié. Les deux tiers des économistes du Québec partagent d'ailleurs cet avis, selon un sondage de l'Association des économistes du Québec (ASDEQ).

Le 30 septembre, j'ai justement donné mon appui à cette politique pancanadienne de l'équipe Trudeau. Néanmoins, une telle mesure appliquée seulement au Québec serait suicidaire, écrivais-je, en raison de la position fiscalement moins concurrentielle face aux autres provinces que provoquerait cette hausse.

Or, une étude sérieuse vient secouer nos certitudes sur l'efficacité économique d'une hausse d'impôts des riches, même au niveau fédéral. L'étude a été publiée jeudi par l'Institut C.D. Howe, l'un des organismes de réflexion économique les plus crédibles au Canada.

Essentiellement, le C.D. Howe conclut que le plan Trudeau consistant à prendre de l'impôt dans les poches des riches pour le transférer à la classe moyenne ne serait pas neutre pour le budget. Au contraire, compte tenu de la réaction des riches à une hausse des impôts, il ferait perdre plus de 4 milliards de dollars d'impôts aux gouvernements fédéral et provinciaux.

Pour analyser la suggestion libérale, le C.D. Howe a passé en revue les études les plus sérieuses sur le sujet, menées au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Ces 11 études mesurent ce qu'on appelle l'élasticité des revenus imposables.

Je vous explique. Pour comprendre, prenons la hausse proposée de quatre points de pourcentage du gouvernement Trudeau pour les revenus au-dessus de 200 000$, ce qui ferait passer le taux fédéral de 29 à 33%.

Si l'on suppose que les riches ne réagiraient absolument pas à l'augmentation des impôts proposée par l'équipe Trudeau, les revenus additionnels collectés par le fisc fédéral seraient de 3,3 milliards.

Or, les riches contribuables ne restent pas de marbre face à une telle hausse, selon toutes les études. Certains choisissent de travailler moins et de privilégier plus les loisirs, puisque le travail n'en vaut plus autant la peine. D'autres vont structurer leurs affaires pour éviter l'impôt additionnel à payer, par exemple en changeant la source des revenus, en utilisant des fiducies, en repoussant des transactions imposables ou en déménageant dans un territoire où les impôts sont plus bas.

Selon les 11 études, une hausse du taux d'imposition qui aurait pour effet de réduire les revenus après impôt de 1% amène les contribuables à modifier leur comportement, de telle sorte que les revenus effectivement déclarés chutent de 0,5 à 1,3%. C'est ce qu'on appelle l'élasticité des revenus imposables. La médiane des études donne une élasticité de 0,69% et le C.D. Howe utilise un taux de 0,62%.

Dit autrement, plutôt que d'amasser 3,3 milliards, le fisc fédéral empocherait seulement 1 milliard de revenus additionnels avec la hausse du plan Trudeau, soit un écart de 2,3 milliards!

L'équipe libérale était bien consciente de ce phénomène de fuite fiscale quand elle a publié son plan. Sauf que selon ses hypothèses, la fuite serait de seulement 500 millions environ, plutôt que de 2,3 milliards, soit un manque à gagner de 1,8 milliard par rapport aux estimations du C.D. Howe.

Ce n'est pas tout. Selon l'organisme, le plan Trudeau a sous-estimé le coût fiscal net de la baisse des impôts qu'il envisage pour la classe moyenne. Les libéraux estiment que le fédéral se privera de 2,9 milliards en abaissant de 22,5 à 20% le taux d'imposition de la tranche de revenus située entre 45 000 et 90 000$. Or, en utilisant la banque de données de Statistique Canada, C.D. Howe estime qu'il en coûtera plutôt 3,5 milliards, soit 600 millions de plus.

En somme, le plan Trudeau visant à hausser l'impôt des riches pour réduire ceux de la classe moyenne ne sera pas neutre. Il coûtera environ 2,8 milliards au fisc fédéral, selon le C.D. Howe (1,8 + 0,6 + d'autres éléments).

Malheureusement, la hausse fédérale aurait aussi un impact négatif sur les recettes fiscales des provinces, explique l'organisme. Pour l'ensemble des provinces, la perte de recettes fiscales serait de 1,4 milliard. En somme, le plan Trudeau coûterait aux gouvernements l'équivalent de 4,2 milliards aux gouvernements fédéral et provinciaux.

Une hausse des impôts des riches a eu des effets tangibles au Québec et au Royaume-Uni. De 2008 à 2010, les Britanniques avaient fait passer leur taux marginal de 40 à 50%. L'impact a été si marqué que les autorités ont été obligées de ramener le taux à 45% en 2012.

Au Québec, la hausse de 2 points de pourcentage du PQ en 2012 a provoqué des réactions. Le taux combiné fédéral-provincial est passé de 48 à 50%. Or, le Québec est la seule province à avoir vu baisser le nombre de contribuables dans le 1%. Il est passé de 43 055 contribuables en 2012 à 40 610 en 2013.

Bref, au-delà des chiffres, qui demeurent des estimations, il faut retenir que les gouvernements ne peuvent jouer avec les taux d'imposition sans en mesurer les conséquences. Et même les meilleures règles anti-évitement ne pourraient contrecarrer pleinement ce phénomène.