C'est bien beau la commission Charbonneau, M. Vailles. Mais en cette période d'austérité, quand donc le gouvernement récupérera-t-il l'argent volé par les profiteurs? me demandent régulièrement des lecteurs.

Justement, chers lecteurs, le programme visant à recouvrer les profits indus vient d'entrer en vigueur, le 2 novembre. Et si je m'appelais Roche, Dessau-Stantec, SNC-Lavalin, Génivar-WSP ou Accurso, je sauterais sur l'occasion pour faire un beau chèque et tourner la page.

Hier, j'ai rencontré l'administrateur de ce programme de remboursement volontaire (PRV), François Rolland. Il s'agit de l'ancien juge en chef de la Cour supérieure du Québec et il connaît donc bien les règlements à l'amiable.

Le PRV est bien ficelé. D'abord, la loi donne aux entreprises un an pour se prévaloir du programme. Après le 1er novembre 2016, il sera trop tard.

Certains délinquants pourraient courir le risque d'attendre et espérer ne pas se faire poursuivre. François Rolland le déconseille fortement. Les autorités ont accumulé beaucoup de preuves avec la commission Charbonneau et les enquêtes, dit-il.

Ensuite, la loi 26 est faite de telle sorte que les poursuites seront plus sévères que de coutume après la période de grâce (fardeau de preuve renversé pour les dommages de 20% ou moins, frais judiciaires plus élevés, etc.). Enfin, un remboursement volontaire évitera aux délinquants d'être bannis pendant cinq ans des contrats publics.

Le programme ne vise pas seulement les entreprises liées à la construction, mais aussi toutes les entreprises qui, en faisant affaire avec des organismes publics, ont posé des «gestes répréhensibles» depuis 1996, il y a près de 20 ans.

Sont donc inclus les firmes informatiques et autres consultants. Sont donc inclus les soumissionnaires qui ont permis à un ami concurrent de gagner, même s'ils n'ont pas remporté le contrat truqué.

Par organismes publics, il faut comprendre tous les ministères du gouvernement du Québec, de même que les municipalités, les commissions scolaires et les sociétés d'État, entre autres.

Bref, la loi et son programme visent large. «C'est le temps de passer au confessionnal», dit François Rolland.

En pratique, comment se déroulera le PRV? D'abord, les entreprises doivent transmettre leur avis d'intention de se prévaloir du programme au bureau du PRV d'ici le 1er novembre 2016. Après cet avis, elles ont 30 jours pour déposer une proposition de règlement et un an pour signer une entente finale.

Cette proposition doit être précise. Quand le ou les méfaits ont-ils été commis? Avec quels organismes publics? Pour quels contrats? Quels profits indus en ont été tirés?

Une fois la proposition reçue, les juricomptables du PRV la passeront au crible. Et ils mettront le nez dans les livres des délinquants pour s'assurer qu'elle tient la route. Suivra une contre-proposition, le cas échéant, et des négociations avec l'administrateur François Rolland.

Une fois ce processus terminé, François Rolland soumettra la proposition au ministère de la Justice, qui la fera acheminer aux organismes publics visés, que ce soit la Ville de Montréal, de Laval, de Gatineau, de Gaspé ou autres.

L'organisme public en cause devra alors accepter ou refuser l'offre de l'entreprise fautive. Un refus mènerait à une médiation avec François Rolland, à un éventuel règlement et à une quittance.

Tout le processus du PRV se fera confidentiellement et les entreprises n'auront pas à faire d'admission officielle de responsabilité. Il y a toutefois certaines exceptions à cette confidentialité.

Premièrement, l'entreprise peut vouloir rendre le règlement public de son plein gré pour témoigner de sa bonne foi (par exemple des entreprises en Bourse). Deuxièmement, une entreprise pourrait rendre publics les détails d'une entente dans le cadre d'un procès parallèle au criminel, question d'avoir une peine plus clémente (par exemple, dans le cas des accusés de Laval).

Troisièmement, une entreprise qui voudrait demander une quittance élargie pour l'ensemble de ses filiales depuis 1996 devra publier, dans le cadre du PRV, la liste de toutes ces filiales ou ex-filiales. Parfois, il s'agit de firmes acquises et fusionnées au fil des ans. Cette publication est un avis demandant à l'ensemble des corps publics de signaler un geste répréhensible de la part de ces filiales, le cas échéant. Une négociation s'ensuivrait.

Enfin, au terme du PRV, le ministère de la Justice aura six mois pour publier les noms de toutes les entreprises qui s'en sont prévalues. La somme globale récupérée à l'ensemble des délinquants sera alors publiée. Nous serons au début de 2018.

Depuis trois semaines, aucun avis d'intention n'a encore été soumis, admet François Rolland. L'ex-juge ne se dit toutefois pas inquiet. Il rappelle que la Ville de Montréal a récemment transmis des mises en demeure à 380 entreprises. La Ville de Laval avait fait de même l'été dernier auprès de quelque 200 entreprises. Les deux municipalités ont des dossiers solides.

Bref, c'est le temps de préparer vos chèques, les délinquants.