Il était une fois une famille de trois filles. Les parents étaient vieillissants, appauvris, et leur maison, jadis si belle, était devenue trop petite pour les loger tous.

Un jour, le père les réunit pour leur annoncer la terrible nouvelle. Mes trois filles, leur dit-il, vous savez combien je vous aime, mais deux d'entre vous doivent quitter le nid familial. Et comme le veut la coutume dans notre région, votre prétendant devra nous verser une dot appréciable, ce qui nous permettra de survivre encore quelque temps.

La première, jeune et très jolie, faisait tourner les têtes de bien des hommes. La promise fréquentait l'école des beaux-arts et avait d'immenses talents. Toutefois, les éventuels prétendants ne pouvaient compter sur elle pour apporter de l'eau au moulin, du moins rapidement. Un jour, se disaient certains, ses tableaux seront reconnus et la fortune viendra. Mais le seront-ils vraiment ?

La deuxième fille, bien plus âgée, était moins séduisante et ses chances de devenir célèbre bien moins grandes que celles de la première. Néanmoins, son emploi rémunérateur à la fabrique familiale en faisait un très bon parti pour quiconque voudrait l'épouser.

Enfin, la troisième fille, aînée de la famille, était destinée à rester auprès de ses parents.

Les deux premières filles firent donc le tour du monde à la recherche du futur bien-aimé, mais après quelque temps, c'est dans le village voisin qu'elles trouvèrent chaussure à leur pied. Les mauvaises langues disaient qu'il s'agissait de cousins, que le mariage serait consanguin. Quels genres d'enfants auraient-ils ? Toujours est-il que leurs deux hommes avaient fière allure et qu'ils étaient disposés - condition essentielle - à contribuer au soutien des vieux parents.

Le premier, le fils du maire, était prêt à sacrifier gros pour la jolie fille. La dot a surpris tous les villageois. Avait-il décelé un talent que les autres n'avaient pas vu ?

Le prétendant de la seconde fille, pour sa part, était un homme d'affaires aguerri, proche de ses sous, bref un Séraphin. Le mariage et la dot, d'accord, mais les parents devraient transférer aux mariés les équipements de la fabrique.

Vous l'aurez compris, chers lecteurs, la jeune fille s'appelle la C Series et son fiancé, le gouvernement du Québec. Le mariage de la deuxième fille, par ailleurs, illustre la transaction entre la Caisse de dépôt et Bombardier pour la division des trains. Enfin, la troisième fille représente le reste des activités de Bombardier (avions d'affaires, avions régionaux, etc.), qui demeure sous le giron familial.

Les deux transactions de Bombardier sont tout aussi dissemblables que les deux mariages des soeurs dans le conte.

D'un côté, le gouvernement du Québec investit 1,3 milliard dans un projet flamboyant, mais risqué, et sans prendre beaucoup de garanties. Certes, Québec obtient 49,5 % de la société en commandite, mais aucun profit n'est en vue avant cinq ans - si profit il y a. Oui, le siège social serait au Québec dans 20 ans, mais que vaudra le siège social si la société est en faillite ? Principal objectif : sauver des emplois... et la grappe aéronautique du Québec.

De l'autre, il y a la Caisse, qui a mis la main sur le morceau de Bombardier le plus intéressant, soit la division qui fabrique des trains. L'institution financière a toutefois exigé des garanties costaudes avant d'avancer les 2 milliards.

En principe, la Caisse n'aura que 30 % des actions de la nouvelle entreprise (BT Holdco) dans laquelle aura été transférée la division des trains.

Dans les faits, elle aura un très grand contrôle sur l'organisation et même sur la société mère, Bombardier.

Même si elle n'a pas 50 % de BT, la Caisse aura un droit de veto sur le budget, le plan stratégique, la rémunération du PDG, la nomination du président du conseil et le versement de tout dividende à la mère au-delà de 200 millions, entre autres. Elle nommera en plus trois représentants au conseil de BT.

La nouvelle BT se verra transférer seulement les actifs de la division des trains, pas les dettes, qui resteront dans la société mère. Et en échange du versement de près de 2 milliards, la Caisse aura droit à un rendement annuel composé minimum variant entre 9,5 et 15 %. Ce versement sera accumulé - et non versé annuellement - et récupéré au terme de quelques années, vraisemblablement lorsque la Caisse vendra sa participation de BT, en tout ou en partie.

Ce n'est pas tout. La Caisse a également exigé de mettre le nez dans les affaires de la mère, Bombardier, celle qui est inscrite en Bourse. La nomination des sept membres indépendants du conseil d'administration sur 11 devra avoir l'aval de la Caisse (les quatre autres sont liés à la famille Beaudoin-Bombardier).

En plus, advenant des difficultés, la Caisse a un droit de veto sur les trois membres du comité de crise qui serait alors créé au conseil de Bombardier, condition à laquelle la famille a accepté de se plier.

En somme, la famille cède beaucoup de pouvoirs et ses actions à vote multiple (53 % des droits de vote) ne veulent plus dire grand-chose. Il faut vraiment ne pas avoir le choix, comme les vieux parents avec leurs filles adorées...