Vous vous rappelez l'expression de Jean Charest? En 2008, il demandait aux électeurs un mandat majoritaire, disant préférer avoir «les deux mains sur le volant» pour affronter la crise, plutôt que de partager la direction avec d'autres.

La situation chez Bombardier ressemble étrangement à cette anecdote. Et à la lumière des déclarations de Paul Tellier, ex-patron de Bombardier, on peut se demander si l'actuel PDG, Alain Bellemare, a les coudées franches.

Essentiellement, Paul Tellier se demande si l'«excellent» Alain Bellemare aura toute la latitude nécessaire pour réaliser les changements qui s'imposent. À ce sujet, il revient sur son propre mandat de PDG de Bombardier, de 2002 à 2004, laissant comprendre qu'il a été victime de l'intervention de la famille Bombardier-Beaudoin, ce qui a précipité son départ, en décembre 2004.

«Quand j'étais là, j'ai eu de la latitude. Mais à un moment donné, on trouvait ça très difficile: il ne pouvait pas y avoir deux conducteurs de l'autobus. Donc, il y en a un qui a dû partir. [Aujourd'hui, la question], c'est de savoir dans quelle mesure cet appui-là va se perpétuer aussi longtemps que c'est nécessaire», a essentiellement expliqué le gestionnaire de 76 ans au site du journal Les Affaires et à La Presse, hier.

Alain Bellemare a été nommé président et chef de la direction de Bombardier en février dernier. Il a pris la place de Pierre Beaudoin, qui portait alors ce même titre depuis six ans. Pierre Beaudoin est le fils de Claire Bombardier et de celui qui a été au coeur des grandes transformations de l'organisation pendant 40 ans, Laurent Beaudoin.

Trois présidents

Paradoxalement, l'entreprise a aujourd'hui trois présidents. En plus d'Alain Bellemare, Bombardier a un «président exécutif» du conseil d'administration en la personne de Pierre Beaudoin. D'habitude, les entreprises ont un président du conseil, qui siège à une douzaine de réunions par année, mais il n'est pas «exécutif». Ce titre à la mode chez les entreprises à contrôle familial suggère qu'il joue un rôle plus actif qu'un président du conseil traditionnel.

En plus de ces deux présidents actifs, Bombardier compte sur Laurent Beaudoin au conseil d'administration. L'homme de 77 ans est «président émérite» du conseil et son nom figure au premier rang de la liste des administrateurs, devant ceux de Pierre Beaudoin et d'Alain Bellemare.

Bref, Bombardier a six mains sur son volant. Cette situation s'explique par le fait que la famille Bombardier-Beaudoin contrôle 53% des droits de vote, même si elle n'a qu'environ 12% des actions en circulation, en raison de ses actions à droit de vote multiple.

De plus en plus d'observateurs avisés croient que la famille devrait céder le contrôle de l'organisation, dans le contexte des décisions problématiques des dernières années et des injections de capitaux publics. Qui plus est, le fédéral pourrait avoir de telles exigences si elle avançait, elle aussi, 1 milliard US pour soutenir l'organisation.

Un analyste qui joue au yoyo

Je n'avais jamais vu ça. Un analyste financier qui, dès le lendemain d'une recommandation de vente d'un titre boursier à ses clients, revient sur sa position et suggère plutôt, après réflexion, de le conserver.

L'affaire n'est pas anodine, car elle concerne Bombardier et l'injection de 1 milliard US réclamée au fédéral. De plus, la recommandation a été reprise à la une de la section affaires du prestigieux quotidien The Globe and Mail, hier. Quand on connaît l'influence du quotidien torontois sur la Bourse et la nervosité des marchés concernant Bombardier, ce jeu de yoyo financier laisse perplexe.

Pour comprendre, il faut savoir que l'analyste d'expérience David Tyerman, de la firme Canaccord Genuity, avait justifié sa recommandation sur la base d'un scénario complètement loufoque.

Le gouvernement du Québec, faut-il le rappeler, a obtenu 49,5% des actions de la société en commandite C Series en échange d'une injection de 1 milliard US. De son côté, Bombardier a reçu 50,5% en y transférant l'usine de Mirabel, ses brevets et les autres actifs liés à la C Series.

Au vu de cette transaction, David Tyerman a déduit qu'une même injection de 1 milliard US du fédéral lui donnerait également 49,5% des parts, ce qui laisserait seulement 1% de C Series à Bombardier!

Cette maigre participation de 1%, malgré les 4,8 milliards US investis par les actionnaires de Bombardier, notamment, l'a amené à suggérer de vendre le titre, plutôt que de le conserver. Selon lui, ce scénario d'injection du fédéral n'était probable qu'à 25%, puisqu'il doutait que le conseil d'administration de Bombardier accepte un tel financement.

Il avait raison de douter. Lundi, David Tyerman a reçu un appel de Bombardier pour lui expliquer les mathématiques financières. Une injection de 1 milliard US d'un tiers, s'est-il fait expliquer, diluerait les deux autres et accorderait aux trois partenaires 33,3% des parts et non pas 49,5%, 49,5% et 1%.

Constatant sa bévue, l'analyste a publié une nouvelle note à 18h57 lundi, mais The Globe and Mail ne l'avait visiblement pas lue avant de publier son numéro du mardi matin. De fait, ce n'est qu'à 13h48 que le vénérable quotidien a corrigé l'erreur sur son site web.

Essentiellement, la nouvelle note de David Tyerman tient compte du partage à parts égales des trois possibles détenteurs de parts. Dans ce contexte, le scénario d'injection de fonds du fédéral devient probable à 50%, croit l'analyste, qui fait donc volte-face et recommande de nouveau de conserver le titre. Ouf!