Chaque année, seulement cinq Québécois déclarent au fisc qu'ils ont acheté un produit sur l'internet sans payer de TVQ. Ces cinq saints de la taxation acquittent volontairement leur dû à Revenu Québec, tel que l'exigent les règles d'autocotisation. Amen.

Bien entendu, les contribuables qui achètent des biens et services sur l'internet sans payer de TVQ sont beaucoup plus nombreux. En 2012, les pertes fiscales du gouvernement québécois à ce chapitre se seraient chiffrées à environ 465 millions de dollars. Et depuis 2012, le commerce électronique a continué de croître à la vitesse grand V.

L'intention du ministre des Finances, Carlos Leitao, de baisser les impôts et de compenser le manque à gagner par une hausse de la TVQ est une bonne nouvelle économique. Toutefois, le gouvernement du Québec devra rapidement colmater les brèches fiscales venant du commerce électronique, sans quoi le changement perdra de ses avantages. Or, pour ce faire, il doit absolument s'entendre avec le fédéral.

Selon la Commission d'examen sur la fiscalité, le Québec est l'endroit où l'impôt sur le revenu des particuliers est le plus important parmi les pays industrialisés, après le Danemark. L'ensemble des recettes d'impôts sur le revenu des particuliers (fédéral-provincial) accapare 13,2% du produit intérieur brut (PIB) au Québec, devant la Suède (11,9%), les États-Unis (9,2%) ou la France (7,9%). Pour tout le Canada, cette proportion est de 11,2%.

L'écart entre la structure fiscale du Québec et de l'Ontario équivaut à 6,5 milliards de dollars d'impôts sur le revenu. Ce sont les contribuables de la classe moyenne, gagnant entre 30 000$ et 100 000$, qui sont le plus durement frappés par cet écart (les deux tiers des 6,5 milliards).

Bien sûr, les Québécois reçoivent davantage de services avec ces impôts payés en plus, qu'on pense aux garderies bon marché, aux faibles droits universitaires ou à l'assurance médicaments. Toutefois, ces impôts additionnels - et surtout le mode d'imposition sur les revenus - ont des incidences néfastes sur notre économie.

À long terme, une baisse d'un dollar du fardeau fiscal provenant de l'impôt sur le revenu aurait un impact positif sur le produit intérieur brut (PIB) du Québec de 72 cents. Or, le même dollar de TVQ prélevé pour compenser a plutôt une incidence négative de 43 cents. Autrement dit, en changeant l'un pour l'autre, l'économie du Québec gagnerait 29 cents par dollar à long terme.

Cette différence s'explique notamment par le fait qu'un impôt élevé sur le revenu a pour effet de décourager les contribuables de travailler davantage. La taxe de vente est également plus efficace et moins coûteuse à collecter et touche les touristes qui nous visitent.

La plupart des pays industrialisés l'ont compris. Depuis 30 ans, les taxes à la consommation ont progressivement occupé une part plus grande des recettes fiscales que l'impôt sur le revenu.

En point de presse hier, Carlos Leitao a laissé comprendre que le gouvernement baisserait les impôts sur le revenu de 1 milliard de dollars dès 2016, baisse suivie quelques mois plus tard par une hausse d'un point de la TVQ. Pour être pleinement efficace, le gouvernement aurait toutefois intérêt à accélérer son offensive sur le front du commerce électronique.

La taxation du commerce en ligne est un enjeu fort complexe, surtout pour les produits intangibles (musique, logiciels, etc.) venant de l'extérieur du Canada. Selon la commission Godbout, le Québec a une entente avec l'Agence des services frontaliers du Canada pour les biens corporels. Par exemple, une paire de skis venant des États-Unis ou d'Autriche sera assujettie à la TVQ dans les bureaux de douane.

Par contre, le fisc québécois ne dispose d'aucun moyen pour percevoir la TVQ sur les ventes internet de biens intangibles par des fournisseurs étrangers qui n'ont pas de présence ici. Le problème est mondial et des discussions sont en cours entre les gouvernements des principaux pays développés.

Les biens venant des autres provinces canadiennes posent également problème au fisc, parfois davantage. En effet, comme il n'y a pas de douane entre le Québec et les autres provinces, les biens tangibles venant de l'Ontario, comme les skis, ne sont pas automatiquement assujettis à la TVQ. Même problème pour les biens intangibles, comme la musique.

Paradoxalement, les provinces canadiennes qui ont adopté la taxe de vente harmonisée (TVH) avec le fédéral, comme l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, n'ont pas ce genre de problème intercanadien. En effet, «la partie provinciale de la TVH est perçue par tout fournisseur canadien même s'il n'est pas présent sur le territoire de ces provinces, étant donné qu'il est inscrit au fichier fédéral de la TPS/TVH», est-il écrit dans le rapport de la commission.

Si le gouvernement du Québec veut colmater la brèche, il a donc tout intérêt à déléguer au fédéral l'administration de la perception de la TVQ pour les entreprises canadiennes hors Québec. Il doit également faire pression sur Ottawa pour régler le problème mondial.

Autrement dit, la hausse annoncée de la TVQ est probablement synonyme d'une négociation plus intense avec le fédéral...