Est-il vrai de dire que les entreprises du Québec sont plus imposées qu'ailleurs? Et si oui, notre régime fiscal nuit-il à leurs investissements?

Ce genre de questions suscite l'intérêt de bien des lecteurs, à droite comme à gauche. Et la réponse est plus surprenante qu'il n'y paraît à première vue.

Pour y répondre, il faut, d'une part, comparer le taux d'imposition des profits des entreprises, de même que leur fardeau fiscal global. D'autre part, pour les investissements, il faut tenir compte des mesures incitatives du gouvernement, entre autres.

Voyons voir. Dans un document publié en septembre, le ministère des Finances du Québec compare minutieusement les niveaux d'imposition des entreprises au Québec avec ailleurs. En 2014, le taux général d'imposition des entreprises était de 11,9% au Québec, comparativement à 10% en Alberta, 11% en Colombie-Britannique, 11,5% en Ontario et 12% au Nouveau-Brunswick.

Pour comparer avec les taux américains, il faut ajouter le taux fédéral de 15%. Ainsi, le taux fédéral-provincial combiné était de 26,9% au Québec, comparativement à 26,5% en Ontario, mais il se compare à un taux global de 39,6% dans l'État de New York et 40,7% en Californie.

Bref, le Québec a un taux un peu plus élevé qu'ailleurs au Canada, mais il est nettement plus faible qu'aux États-Unis.

Cependant, les entreprises doivent également payer des cotisations sociales (CSST, RRQ, assurance parentale, etc.). Et à ce chapitre, le Québec est au sommet. Ainsi, pour chaque 100$ de masse salariale, les entreprises du Québec doivent ajouter 15,46$ pour les cotisations sociales, comparativement à 11,99$ en Ontario et 8,61$ en Alberta.

Dit autrement, nos entreprises contribuent à nos mesures sociales, mais leurs charges fiscales nuisent à leur compétitivité. Globalement, une entreprise qui paie 100$ d'impôts au Québec en paie seulement 69$ en Ontario, 49$ en Colombie-Britannique et 46$ en Alberta.

Maintenant, malgré ces forts niveaux d'imposition, le Québec est étonnamment l'un des endroits où il est le plus avantageux d'investir dans le monde, fiscalement parlant. L'avantage s'explique essentiellement par les mesures incitatives du gouvernement.

Pour faire de justes comparaisons, les économistes s'en remettent à ce qu'ils appellent le taux effectif marginal d'imposition du capital (TEMI). Ce taux sert à évaluer «la part du rendement d'un investissement qui est affecté au paiement des taxes et impôts. Plus le TEMI est faible, plus le rendement net d'un investissement sera élevé», est-il expliqué dans le document du ministère des Finances.

Les économistes Jean-François Wen, Bev Dahlby et Ergete Ferede ont remis un rapport à la commission Godbout sur la fiscalité qui compare ce TEMI dans les provinces canadiennes et dans le monde. Leurs conclusions sont frappantes.

D'abord, le TEMI au Québec est de 15,2%, soit en bas de la moyenne canadienne de 18,6%. L'Alberta est à 17%, l'Ontario à 18,2% et la Colombie-Britannique, à 27,5%. Plus encore, ce TEMI est beaucoup plus faible que ceux aux États-Unis (35,3%), en France (35,2%) et en Allemagne (24,4%).

Donc, les entreprises manufacturières qui investissent au Québec peuvent espérer un bien meilleur rendement qu'ailleurs, compte tenu des impôts et des taxes qu'elles doivent acquitter sur cet investissement.

Comment expliquer cette apparente contradiction avec nos taux d'imposition plus élevés pour les entreprises? Trois raisons, essentiellement.

D'abord, le Québec offre un crédit d'impôt à l'investissement de 5% pour les bénéfices découlant de la fabrication et de la transformation. Ensuite, les charges sociales des entreprises sont exclues de ce calcul, puisqu'elles sont imposées selon le nombre d'employés et non sur le capital.

Enfin, avec sa TVQ, le Québec a adopté l'équivalent d'un régime de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui favorise les investissements. En effet, contrairement à la taxe de vente traditionnelle de la Colombie-Britannique ou du Manitoba, les entreprises qui investissement au Québec se voient rembourser les taxes payées sur les matériaux de construction, les machines et l'outillage, grâce au crédit de taxes sur intrants (CTI).

Cela dit, les économistes Wen-Dahlby-Ferede s'interrogent sur la stratégie du Québec d'encourager particulièrement les investissements dans le secteur de la fabrication, au détriment des services professionnels et scientifiques.

Tout avantage fiscal donné à un secteur, rappellent-ils, cause une distorsion et, conséquemment, «les capitaux ne sont pas affectés aux activités les plus productives, ce qui peut nuire à la croissance économique».

De fait, depuis 20 ans, les investissements dans le secteur de la fabrication au Canada sont passés de 24 à 11% du total, malgré les taux d'imposition plus bas. L'accroissement le plus rapide des investissements vient de certains secteurs à forte valeur ajoutée que sont les services professionnels, scientifiques et techniques, de même que les services administratifs, notamment.

Les trois économistes croient que le Québec aurait avantage à réduire son taux d'imposition des bénéfices de 11,9% à 10% et à laisser tomber son crédit d'impôt à l'investissement et l'amortissement accéléré dans les secteurs de la fabrication-transformation. Ce faisant, il se retrouverait plus près de la moyenne canadienne.