Vous vous souvenez de ma chronique du 13 juin sur le patient qui dit s'être fait assigner un médecin de famille à son insu? Eh bien, la réponse de la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) m'a fait tomber en bas de ma chaise.

Jusqu'à récemment, l'organisme gouvernemental ne vérifiait pas si le médecin avait bel et bien avisé son patient qu'il devenait son médecin de famille. Autrement dit, la RAMQ a versé des «primes Bolduc» pendant plusieurs années sans savoir si le patient pouvait avoir le réflexe de consulter son nouveau médecin de famille en cas de besoin plutôt que de se rendre à l'urgence.

Pour bien comprendre l'aberration, je dois faire un rappel de la chronique du 13 juin. Un patient de 63 ans y racontait s'être fait refuser sa récente demande d'assignation à un médecin de famille par le CLSC car il avait, semble-t-il, déjà un médecin de famille. Or, le nom de ce médecin lui était inconnu. Il a fini par comprendre qu'il s'agissait du médecin qui l'avait vu pendant quelques minutes, cinq ans plus tôt, dans une clinique sans rendez-vous.

Ce patient, un avocat de métier habitué aux papiers, affirme n'avoir signé aucun document d'inscription auprès de ce médecin. Quand il a voulu le consulter, le médecin n'a pas voulu le recevoir, affirmant qu'il s'agissait d'une erreur de son comptable. Il se demande donc si ce dernier a touché indûment la prime d'inscription «Bolduc», qui varie de 100 à 209$. À la suite de cette chronique, quatre autres lecteurs disent avoir vécu la même situation.

Interrogée à ce sujet, la RAMQ, soit l'organisme gouvernemental qui rémunère les médecins, m'a répondu par courriel. Pour se voir assigner un médecin de famille, m'explique-t-elle d'abord, tout patient doit signer un formulaire. Le médecin doit d'ailleurs remettre une copie signée de ce formulaire au patient et garder l'original au dossier. Il fait ensuite une demande d'inscription de ce patient à la RAMQ.

Le hic, c'est que la RAMQ ne prenait pas connaissance des formulaires signés par les patients avant de verser la prime. «Le médecin n'a pas à envoyer le formulaire signé», me confirme la RAMQ.

Autrement dit, un médecin d'une clinique sans rendez-vous, au terme d'une consultation pour un problème bénin, pouvait réclamer la prime sans que le patient le sache et sans que ce patient ait donc recours à lui en cas de besoin par la suite.

Sept ans sans vérifications

Le processus de vérification de la signature de la personne assurée sur le formulaire est en cours depuis seulement février 2015, me dit la RAMQ. Or, le programme est en place depuis 2008! En somme, il y a eu sept ans de versements de primes sans réelles vérifications.

Il serait surprenant, cela dit, que la réclamation de primes ait été faite indûment à grande échelle. La RAMQ soutient qu'«aucune problématique majeure n'a été portée à notre attention» depuis février 2015.

N'empêche, un organisme qui rémunère du personnel doit faire ce genre de vérifications. D'ailleurs, après ma chronique, quatre lecteurs m'ont dit s'être fait assigner, eux aussi, des médecins de famille à leur insu. Et les quatre n'ont pas souvenir d'avoir signé un document.

«Sans médecin de famille depuis une douzaine d'années, je me suis inscrit à une liste sur le site du gouvernement. Après un an, je reçois un message sur ma boîte vocale comme quoi j'ai déjà un médecin de famille, dont je n'ai jamais entendu le nom! J'ai dû chercher sur internet et trouver le numéro de son bureau. Je ne me souviens pas d'avoir signé un document avec lui», m'explique par exemple un lecteur.

Même une adjointe administrative dans une clinique dit avoir été témoin du phénomène. «Parfois, des patients ont consulté dans une clinique sans rendez-vous pour une urgence, mais n'ont signé aucun papier. Il y a donc des médecins qui enregistrent des patients sans leur faire signer le formulaire de consentement», m'écrit-elle.

Depuis 2011, la prime est de 100$ pour l'inscription de patients en santé et de 209$ pour les patients vulnérables (diabétiques, asthmatiques, cancéreux, etc.). Avant 2011, seuls les patients vulnérables donnaient droit à une prime, de quelque 104$. La prime est récupérée si le médecin ne maintient pas l'inscription du patient pendant 12 mois.

Face à cette absence de réelles vérifications, une série de questions se pose. Primo: la proportion de la population qui a un médecin de famille est-elle réellement de 68% actuellement, tel que l'avance le ministère de la Santé?

Secundo: la RAMQ réclamera-t-elle le remboursement des primes payées indûment? Tertio: l'organisme révisera-t-il son calcul de la période de 12 mois d'inscription, compte tenu du phénomène? Quarto: les primes qui sont reconduites dans la toute nouvelle entente seront-elles adaptées pour remédier au problème?