Ma mère ne pouvait attendre un an, son dos la faisait trop souffrir. Elle a donc choisi de recevoir son injection de cortisone dans une clinique privée, le 5 décembre dernier. Or, surprise, son expérience lui a fait découvrir ce qui ressemble à un vaste système de surfacturation.

Ce jour-là, tous les patients de la clinique se font demander leur carte d'assurance maladie, en plus de recevoir une facture imposante. Simple processus d'identification? Pas du tout: ma mère apprend qu'en plus de facturer le patient, le médecin réclame des honoraires appréciables à la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ).

Dans son cas, les deux sommes sont presque identiques: la facture qu'elle doit acquitter s'élève à 275$ et la somme réclamée par le médecin à la RAMQ est de 273,30$. Comment expliquer que le médecin soit, en apparence, payé doublement?

La réponse à cette question, qui concerne des milliers de patients, est moins simple qu'il n'y paraît. Elle fait la lumière sur de possibles abus, certes, mais elle ouvre aussi la porte aux demandes répétées des médecins et des cliniques au gouvernement pour régler le problème.

Mardi, le ministre Gaétan Barrette a justement déclaré qu'il créerait un comité pour permettre aux cliniques d'exiger certains frais, mais en les encadrant, ce qui réjouit les syndicats de médecins.

Qu'en est-il au juste? La RAMQ, faut-il savoir, paie les honoraires des médecins, comme ceux de la clinique privée conventionnée qu'a consultée ma mère (273,30$). Ces honoraires couvrent une partie des frais d'administration de la clinique, mais pas les coûts des médicaments et certains autres frais. La facture payée par ma mère (275$) sert donc à couvrir les coûts de la cortisone et des trois autres substances nécessaires à l'injection, entre autres.

Oui, mais 275$ de médicaments, n'est-ce pas excessif? Plutôt, oui. Après vérification, on peut estimer que les médicaments ont coûté environ 110$ au médecin, soit 165$ de moins que la facture.

Comment expliquer cette différence? La structure des honoraires de la RAMQ, ai-je appris, a été établie dans les années 70. Depuis ce temps-là, les médecins ont bien davantage recours aux appareils techniques pour leurs interventions, comme les endoscopes et les gastroscopes.

Or, la RAMQ ne rembourse pas le coût de ces appareils utilisés dans les interventions. En conséquence, les médecins des cliniques privées refilent en quelque sorte la facture aux patients, en plus des médicaments.

Cette question préoccupe particulièrement les médecins par les temps qui courent pour une raison simple: le tout nouveau Code de déontologie interdit aux médecins d'inclure autre chose que le prix coûtant des médicaments dans leur facture (en plus des frais d'entreposage), essentiellement.

Ce nouveau Code, qui sera pleinement en vigueur le 7 juillet, fait réagir. Mardi, l'Association des cliniques se disait inquiète pour l'avenir de ses membres si les frais accessoires ne sont pas ajustés pour tenir compte du coût de ces appareils, entre autres. Des cliniques menacent de cesser d'offrir certains services, ce qui aurait pour effet d'engorger le réseau public. En avril, le Collège des médecins, responsable du Code de déontologie, faisait part des mêmes préoccupations.

Oui, mais les fameux appareils ne permettent-ils pas aux médecins de faire plus d'interventions que dans les années 70, donc plus de revenus? Les honoraires d'aujourd'hui versés aux médecins ont-ils été ajustés pour en tenir compte? Qui plus est, la facture de 275$ de ma mère n'est-elle pas excessive pour couvrir les médicaments (110$) de même que l'appareillage et les autres frais (165$)?

La situation vécue par ma mère n'est pas unique: depuis quatre ans, le nombre de plaintes pour des cas de surfacturation a presque triplé au Collège des médecins, passant de 27 à 76. Et à ce sujet, une requête en recours collectif a été déposée en mai 2014, puis amendée en novembre, contre le Ministère, la RAMQ et des dizaines de cliniques et de médecins.

«Les patients sont pris en otage entre des médecins qui n'hésitent pas à se faire justice eux-mêmes et des ministres de la Santé incapables de faire face à des groupes de pression devenus trop puissants», est-il écrit dans la requête.

Pour dénouer l'impasse, Gaétan Barrette a donc annoncé mardi qu'il permettra d'inclure les frais accessoires, mais que ces frais seront uniformisés pour les cliniques. Les coûts à refiler aux patients seront estimés par un comité tripartite, ce qui devrait permettre d'éviter les abus. Toutefois, on ne sait pas si la marge accordée aux cliniques tiendra compte du jeu de la concurrence et s'il obligera à réécrire le Code de déontologie, moins permissif que la suggestion Barrette.

Quoi qu'il en soit, ma tenace de mère s'est plainte au Collège des médecins. Le syndic du Collège a alors joué un rôle d'arbitre avec son médecin pour sa facture de 275$ de décembre 2014, qui était alors régi par l'ancien Code de déontologie (devenu caduc en janvier 2015). La conclusion vient d'être rendue: la clinique lui remboursera 100$, puisque sa facture incluait effectivement un «profit indu».

Bref, il est temps que le Ministère fasse le ménage dans ce système.