Le scoop du Financial Post sur SNC-Lavalin tombe drôlement à point pour l'entreprise. Je ne doute pas de la possibilité que la multinationale soit la cible d'intérêts étrangers, mais cette sortie dans le quotidien torontois, mercredi, semble faire partie d'une opération de relations publiques.

Le message? «Vous voyez ce qui arrive avec vos lois anticorruption trop sévères: l'entreprise sera vendue à des étrangers et bye bye le siège social montréalais.»

Je m'explique. SNC-Lavalin fait face à des accusations criminelles pour ses agissements en Libye. Si elle est déclarée coupable, non seulement paiera-t-elle une amende, mais elle sera de plus privée des juteux contrats fédéraux pendant 10 ans. Fini le pont Champlain, fini l'entretien des immeubles fédéraux, finis les contrats avec l'armée. C'est sans compter les répercussions qu'un verdict de culpabilité aurait sur ses affaires internationales.

Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les autorités permettent aux entreprises délinquantes de payer une amende sans se déclarer coupables, ce qui leur permet de tourner la page. Ce système n'empêche pas la condamnation des individus.

Depuis le dépôt des accusations, le 19 février, SNC-Lavalin est en campagne de relations publiques pour que le gouvernement fédéral change son cadre d'intégrité.

Des exemples? Les dirigeants de l'organisation rappellent la sévérité des lois canadiennes dès qu'ils en ont la chance. Le 7 mai, en conférence de presse, le PDG de l'entreprise, Robert Card, soulevait l'importance de modifier le droit criminel canadien pour permettre à une entreprise de payer une amende sans devoir plaider coupable.

Le même jour, l'entreprise commençait la diffusion d'une vaste campagne de publicité, notamment aux heures de grande écoute à la télévision. Elle y vante les réalisations de ses 40 000 employés et leur contribution pour le Canada. La pub renvoie à un site internet où l'on peut visualiser chacun des projets de l'entreprise dans le monde, auxquels sont associés des employés, avec leur photo. La campagne d'image se terminera à la fin de juin.

Le 29 mai, le président du Conseil canadien des chefs d'entreprise (CCCE), John Manley, a longuement disserté sur les lois anticorruption au Canada dans une colonne du quotidien The Globe and Mail. Bien que l'ex-ministre libéral fédéral de l'Industrie ne mentionne pas une seule fois l'entreprise SNC-Lavalin, son argumentaire reprend presque mot à mot les revendications de l'entreprise. Et le PDG de SNC-Lavalin, Robert Card, est membre du CCCE.

Bref, SNC-Lavalin est en campagne. L'offensive coïncide avec l'embauche de l'as des communications Isabelle Perras, devenue à la fin de février vice-présidente des communications mondiales de la firme d'ingénierie. La gestionnaire a une impressionnante feuille de route. Entre autres, elle a été directrice de cabinet de l'ex-ministre des Finances, Raymond Bachand, avant d'occuper le poste de vice-présidente-directrice générale de Citoyen Optimum, une firme liée à l'agence Cossette.

Le gouvernement Harper a entendu le message. Il a discrètement ouvert la porte à des modifications au cadre d'intégrité dans le budget fédéral du 21 avril. Mais jusqu'où ira-t-il? Est-ce que les modifications seront suffisantes pour les besoins de SNC-Lavalin?

Bref, le scoop du Financial Post semble faire partie de l'arsenal de communication de l'organisation pour faire pencher la balance en sa faveur.

Cela dit, la possibilité que SNC-Lavalin soit vendue est bien réelle, que ce soit à l'espagnole ACS ou à l'australienne Worley-Parson, comme l'évoque le Post, ou à d'autres. Si le fédéral maintient le statu quo, la vente des actifs de l'entreprise à des intérêts qui montrent patte blanche serait une façon d'assurer sa survie. Le scénario ressemblerait à celui qu'a connu l'ex-firme de génie lavalloise Dessau, vendue à Stantec.

L'appétit des concurrents pour SNC-Lavalin est d'ailleurs bien compréhensible. Plusieurs jugent que ce joyau de l'ingénierie est sous-évalué en Bourse, compte tenu des accusations criminelles. Au prix où le titre s'échange, les concurrents salivent.

L'autre scénario de SNC, advenant le statu quo fédéral, est la restructuration de l'organisation, c'est-à-dire la séparation entre les activités «saines» et les activités «souillées», par le truchement d'un transfert d'employés dans des coquilles clairement distinctes. Cette séparation pourrait peut-être faire passer la pilule auprès des politiciens et sauver la portion «saine» de l'entreprise. Selon le Financial Post, ce scénario a été suggéré.

En somme, l'heure est aux grandes manoeuvres juridiques et politico-médiatiques chez SNC-Lavalin, et je ne serais pas surpris qu'un scoop en fasse partie.