«Bon alors, bonjour tout le monde. Bienvenue à votre nouveau cours d'économie de 5secondaire. Pour commencer, j'aimerais vous poser quelques questions. Je ne cherche pas à vous piéger, mais à mieux saisir votre niveau de connaissance.

Levez la main ceux qui pensent savoir ce qu'est un taux d'intérêt composé? 9 sur 30? Bien. Je vois une 10e main à moitié levée, au fond de la classe. Est-ce la fatigue, une blessure ou le signe d'une indécision? Alors, disons 9 et demi. Maintenant, qui saurait me calculer un rendement composé? Trois personnes. OK. Et qui pourrait expliquer ce qu'est un fonds commun? Sept.

Autre question: qui connaît l'ancien conseiller financier Vincent Lacroix? Un indice: il a fait les manchettes des journaux ces dernières années. Deux personnes.»

Les réponses de mes élèves fictifs ne sont pas tirées d'un sondage scientifique, malheureusement, puisqu'il n'existe pas de telles études auprès des adolescents. Néanmoins, les sondages réalisés auprès de leurs ainés (18-30 ans) et mes propres observations auprès des ados ne laissent aucun doute: le niveau de connaissances économiques et financières des jeunes est très faible.

La semaine dernière, la déclaration du PDG d'Alimentation Couche-Tard, Alain Bouchard, était donc loin d'être impertinente. Le PDG de la troisième plus importante multinationale du Québec a répété, une fois de plus, l'importance de réintroduire des cours d'économie au secondaire. Sa suggestion suivait celle de Monique Leroux, de Louis Audet et de Jacques Ménard, respectivement patrons du Mouvement Desjardins, de Cogeco et de la Banque de Montréal.

Finances personnelles de gauche?

Les propos d'Alain Bouchard ont soulevé bien des discussions parce qu'il a laissé entendre, essentiellement, que les étudiants seraient plus raisonnables dans leurs revendications s'ils avaient suivi un cours d'économie.

S'en est suivi un énième affrontement entre les tenants de la gauche et de la droite, cette fois sur l'éventuel contenu d'un tel cours. À gauche, certains jugent carrément qu'il est préférable de ne pas offrir de cours plutôt qu'avoir un contenu «néo-libéral». D'autres veulent qu'on y enseigne les inégalités dans le monde ou vont même suggérer un cours de finances personnelles de gauche...

Je m'interroge: est-il pertinent d'aborder les courants de pensée économique quand on ne comprend pas le strict minimum de notre économie quotidienne? Que faire d'Adam Smith, de Karl Marx ou de John Maynard Keynes quand on peine à saisir les composantes du taux d'inflation?

Les recherches sur les jeunes de 18 à 30 ans sont claires: leur niveau de connaissances économiques est inquiétant. Par exemple, près de la moitié d'entre eux ne savent pas qu'ils se voient facturer des frais d'intérêt sur le solde de leur carte de crédit s'ils paient seulement le minimum réclamé par l'émetteur. Environ le tiers disent dépenser plus qu'ils ne gagnant chaque mois et la moitié sont inquiets de leur situation financière!

Autre exemple: plus de la moitié des jeunes adultes ne savent pas qu'un placement qui rapporte seulement 1 % par année permettra d'acheter moins de biens un an plus tard si l'inflation est de 2 % pendant cette période.

À mon avis, il faudrait apprendre aux élèves à marcher avant de les envoyer faire une randonnée pédestre en montagne. Les jeunes devraient comprendre les contours des cartes de crédit et des contrats de cellulaires et savoir qu'une garantie prolongée sur un bien n'est pratiquement jamais une bonne affaire.

Ils devraient apprendre à épargner et à payer leurs dettes de cartes de crédit rubis sur l'ongle. Ils devraient savoir comment faire leurs déclarations de revenus, d'autant plus que 15 % d'entre eux seront éventuellement travailleurs autonomes.

Il leur faudrait, bien sûr, pouvoir s'armer contre les fraudeurs ou les marchands trop entreprenants. Connaître les grandes lignes de la Loi sur la protection du consommateur et savoir que l'Autorité des marchés financiers (AMF) dispose d'un registre sur l'internet pour vérifier si leur «nouvel ami» possède le nécessaire permis pour leur vendre un produit financier.

Le cours d'économie a été aboli en 2009. On le jugeait trop théorique, pas suffisamment proche du quotidien des jeunes. Depuis quelque temps, justement, le ministère de l'Éducation planche sur un cours d'éducation financière plus pragmatique. Ce cours serait basé sur la gestion des finances personnelles et la consommation, l'entrée sur le milieu du travail et le financement des études supérieures, entre autres.

Malheureusement, le cours ne sera pas offert comme prévu à la rentrée de 2015, c'est-à-dire dans moins de quatre mois. Et même s'il est offert en 2016, il s'agira d'un cours en option, c'est-à-dire destiné aux seuls élèves intéressés.

Moi qui croyais qu'apprendre à marcher était fondamental pour parvenir à comprendre, éventuellement, les enjeux économiques complexes...