S'il y a un débat qui perdure au Québec depuis des décennies, c'est bien celui de la pertinence ou non d'avoir deux agences de perception des impôts et, donc, deux déclarations de revenus.

D'un côté, il y a les souverainistes-autonomistes, qui voudraient que le Québec collecte tous les impôts des Québécois. De l'autre, il y a les fédéralistes purs, qui croient que le Québec devrait imiter la plupart des provinces et déléguer la totalité de la perception des impôts à Ottawa et recevoir sa quote-part après coup.

Le Québec a obtenu le pouvoir de perception de haute lutte, disent les autonomistes, et il doit conserver cet héritage de l'ex-premier ministre Maurice Duplessis. Pour le fédéral, bien sûr, il est hors de question de déléguer la totalité de la perception à l'Agence du revenu du Québec.

Ce débat légitime, mais sans issue apparente, oblige les Québécois à produire deux déclarations de revenus distinctes, mais surtout, il coûte 500 millions de dollars en chevauchements administratifs globaux aux deux gouvernements(1). À Québec, il y a 12 000 employés, tandis qu'à Ottawa, on peut penser que près du quart des quelque 40 000 employés se consacreraient au Québec.

En ces temps d'austérité, les coûts de cette particularité fiscale ne sont pas marginaux. Les 500 millions de chevauchements représentent trois fois les revenus nets attendus de la hausse récente des tarifs de garderie (162 millions), une décision qui a soulevé un tollé.

Deux solutions

L'économiste indépendant Paul Daniel Muller s'est penché sur la question et pense avoir trouvé des solutions.

Pour bien saisir la problématique, l'économiste rappelle d'abord que le pouvoir de taxation, la politique fiscale et la perception sont trois choses distinctes. Au fil des ans, les tribunaux ont reconnu le pouvoir de taxation du Québec, qui prélève aujourd'hui plus d'impôt que le fédéral, note-t-il. Pas de litige de ce côté, donc.

Concernant la politique fiscale, une fusion des deux déclarations de revenus n'empêcherait aucunement le Québec de faire des choix différents, soutient M. Muller. De fait, les provinces qui ont délégué la perception au fédéral peuvent continuer à établir leurs propres crédits d'impôt remboursables ou non remboursables, leurs propres surtaxes et leurs propres mesures pour les moins nantis.

Seule limitation à l'autonomie: une mesure provinciale doit avoir la même définition fiscale qu'une mesure semblable au fédéral. Une mesure avec une définition distincte est possible, mais alors le fédéral facture à la province les frais correspondant à la perception, explique-t-il.

Cela dit, la plupart des postes apparemment distincts au Québec trouvent un équivalent au fédéral. Dans une étude réalisée en 2005, des chercheurs de l'Université de Sherbrooke avaient constaté qu'à 103 reprises, le fisc provincial et le fisc fédéral utilisaient des termes différents pour définir essentiellement la même chose.

Qui plus est, pour des questions de concurrence fiscale, le Québec calque instantanément un grand nombre de mesures fiscales annoncées par le fédéral, comme c'est le cas de la hausse toute récente de l'exemption à vie pour le gain en capital des agriculteurs. Bref, l'autonomie de la politique fiscale serait préservée.

Il ne reste donc que la perception des impôts, un enjeu politiquement sensible, mais pas incontournable, selon M. Muller. Depuis 1992, rappelle l'économiste, la taxe de vente fédérale (TPS) au Québec est perçue par les mêmes fonctionnaires du gouvernement du Québec qui gèrent la TVQ.

Première idée de Paul Daniel Muller pour dénouer l'impasse de la perception: la création d'une agence unique au Québec, mais dont les deux gouvernements seraient en quelque sorte «copropriétaires».

«Cette agence aurait un conseil d'administration paritaire et une présidence tournante, comme certaines institutions de l'Union européenne. Ses employés n'appartiendraient ni à la fonction publique fédérale, ni à celle du Québec. En cas d'affrontement, il serait alors impossible pour l'un des gouvernements de priver l'autre de ses recettes fiscales», explique-t-il.

Deuxième solution envisagée par M. Muller: une délégation réciproque de perception fiscale. L'un des gouvernements prélèverait les impôts des entreprises, par exemple, et l'autre, les impôts des particuliers.

Advenant l'accession du Québec à la souveraineté, l'enjeu de la perception fiscale prendrait une tout autre forme. Dans le cas d'une agence en copropriété, par exemple, la fusion aurait déjà été réalisée, avec ses transferts d'emplois. Ne resterait qu'à négocier le rapatriement complet de l'entité.

Certes, la fusion des deux agences ou la délégation réciproque devrait surmonter des obstacles bureaucratiques, puisque les employés des deux organisations voudraient préserver leur poste. Ce genre d'embûches a néanmoins été contourné en 1991 avec la perception de la TPS.

Je suis loin d'être convaincu que les suggestions de Paul Daniel Muller verront le jour, étant donné la sensibilité politique de la question. Il reste qu'en cette période de compressions dans les écoles, les hôpitaux et les régions, elles méritent d'être discutées. Pas de vaches sacrées, a-t-on dit?

Pour lire l'argumentaire complet: www.pauldanielmuller.blogspot.ca

(1) Le Parti québécois, en 2010, et l'Agence du revenu du Canada, en 2009, obtenaient deux évaluations semblables pour le chevauchement, soit entre 445 et 500 millions.