Vous avez entendu parler de ce tour de passe-passe fiscal, j'en suis convaincu. Peut-être connaissez-vous un voisin, un ami, un beau-frère qui en a profité.

Je parle de cette combine qui permet à un entrepreneur de se construire une résidence dite personnelle et qui la revend au bout d'un certain temps sans payer d'impôts sur les profits.

Eh bien, sachez que le ministère des Finances du Québec a ce genre de transactions à l'oeil. Son intention, inscrite dans le budget de jeudi dernier, est inspirée du récent rapport de la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise, présidée par Luc Godbout.

Qu'en est-il au juste? La résidence personnelle bénéficie d'un traitement particulier à l'égard de l'impôt. Le gain en capital lors de la revente n'est nullement imposé, contrairement à l'essentiel des autres formes de gain en capital. Certains en profitent pour s'enrichir indûment.

Ces dernières années, l'astuce a néanmoins perdu de son attrait auprès des entrepreneurs et de leurs enfants, puisque le fisc passe toutes les transactions immobilières au crible. «L'Agence du revenu du Québec surveille de près ces transactions. C'est donc moins évident que par le passé», explique le fiscaliste Jean-François Thuot, de la firme Raymond Chabot Grant Thornton.

Une limite de 1 million

Dans son rapport, la Commission suggère d'imposer une limite à vie de 1 million de dollars à la non-imposition du gain en capital des résidences personnelles. Ce plafond de 1 million de dollars serait indexé à l'inflation.

Autrement dit, les entrepreneurs ou les couples qui changent souvent de maison verraient cet avantage limité. Même raisonnement pour les familles riches qui peuvent se permettre de petits châteaux sans jamais payer d'impôts sur les gains, même s'ils excèdent 1 million. La mesure ne serait pas rétroactive.

Puisque le principe de non-imposition du gain en capital sur la maison serait maintenu, la Commission ne suggère pas de faire comme aux États-Unis et de rendre les intérêts hypothécaires déductibles. La déductibilité des intérêts hypothécaires est l'un des facteurs qui auraient contribué à la dernière crise financière américaine parce qu'elle incite à l'endettement.

Le passage du rapport Godbout sur le sujet s'inscrit dans un volet plus large sur le mode d'imposition de tous les gains en capital. Les suggestions de la Commission sont conditionnelles à ce que le Québec arrime ses interventions avec le fédéral pour ne pas créer de distorsions fiscales.

Dans le budget, justement, le gouvernement indique qu'il créera un comité de travail formé de représentants du ministère des Finances et de l'Agence du revenu du Québec «dans le but d'entamer des discussions avec le gouvernement fédéral».

Gains boursiers sur moins d'un an

Parmi les autres mesures à l'étude touchant le gain en capital, l'une vise l'imposition à 100%, plutôt qu'à 50%, de tout gain en capital qui a été réalisé en moins d'un an. Le traitement fiscal de ce type de gain est dénoncé parce qu'il donne en quelque sorte un avantage fiscal aux spéculateurs boursiers.

La Commission propose d'imposer pleinement ce genre de gain, comme c'est la règle aux États-Unis. Pour les gains réalisés sur plus d'un an, elle recommande qu'ils soient imposés à 100%, comme les revenus de travail, mais que le montant imposé soit essentiellement diminué de l'inflation qui a été observée sur le marché durant la période de détention.

Le rapport Godbout propose aussi que le traitement préférentiel offert aux options d'achat d'actions soit aboli. Enfin, il suggère que l'exonération cumulative de 800 000$ accordée aux entrepreneurs (1 million pour les agriculteurs) soit remplacée par une cotisation additionnelle au REER au moment de la réalisation du gain.

Cette exonération a donné lieu à des planifications fiscales audacieuses, notamment par l'entremise de fiducies «afin de multiplier l'utilisation de cette exonération au sein d'une famille ou d'un groupe de personnes ayant un lien de dépendance», écrit la Commission.

Bref, la Commission propose tout un ménage dans l'imposition du gain en capital, et le gouvernement du Québec promet de se pencher sur le sujet avec le fédéral.

Bien franchement, je doute que le gouvernement fédéral, surtout avec les conservateurs au pouvoir, donne suite aux principaux changements (100% au lieu de 50%, exonération de 800 000$ à vie). Et les autres provinces auraient aussi leur mot à dire.

Le Québec serait perdant s'il faisait cavalier seul pour des questions de concurrence fiscale et de risques d'évasion fiscale. Néanmoins, peut-être nos voisins prêteront-ils une oreille attentive aux abus avec la résidence personnelle et aux gains boursiers rapides. À suivre.