Question quiz aujourd'hui. Lequel de ces trois groupes a été désavantagé par le régime fiscal du Québec au cours des quelque 15 dernières années: les pauvres, la classe moyenne ou les riches?

Attention, il s'agit d'une question piège. La réponse: aucun des trois groupes. De fait, les pauvres, la classe moyenne et les riches ont, au contraire, tous bénéficié des changements fiscaux apportés par les gouvernements successifs entre 1997 et 2013, soit depuis l'atteinte du premier déficit zéro de l'époque.

C'est l'étonnante conclusion qui peut être tirée d'une étude de l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) rendue publique hier.

Essentiellement, les chercheurs Oscar Calderon et Jules Bélanger ont appliqué aux contribuables de 2013 le régime fiscal qui prévalait en 1997. Ils ont donc analysé chacune des mesures qui ont transformé le régime, notamment la diminution des paliers d'imposition, la baisse des impôts sous les libéraux, la hausse de la TVQ, la récente augmentation de l'impôt des plus riches sous les péquistes, mais également les mesures de redistribution de la richesse. Parmi ces mesures sociales, mentionnons la prime au travail et le crédit d'impôt pour la solidarité, entre autres.

Conclusion: les contribuables québécois versent aujourd'hui 4,5 milliards d'impôts en moins que ce serait le cas avec le régime de 1997. De plus, les moins fortunés reçoivent 4,1 milliards de plus en transferts de toutes sortes.

Tous les quantiles de revenus en ont profité. Les gains nets varient entre 3,4 et 5,7% des revenus disponibles. Les ménages qui gagnent entre 12 000 et 48 000$ avant impôts ont été un peu plus avantagés. Pour eux, les gains équivalent à plus de 4% de leurs revenus après impôts (voir tableau), tandis que pour les familles riches (plus de 107 000$ de revenus avant impôts), le bénéfice varie de 3,4 à 3,9%.

Globalement, constatent les chercheurs, l'ensemble des mesures a diminué les inégalités sociales durant cette période. Dit autrement, le fameux coefficient de Gini serait plus élevé si le régime de 1997 s'appliquait aujourd'hui. Ce coefficient serait de 0,3874 plutôt que 0,3831 (l'égalité parfaite donnerait un coefficient Gini de zéro et l'inégalité totale, un coefficient de 1).

L'IREC est un organisme de recherche économique et sociale crédible fondé par Jacques Parizeau en 1999. Sa mission dite «progressiste» continue de défendre un rôle-clé pour l'État.

Pourquoi ce passage sur la mission de l'IREC? Parce que, justement, l'étude a été commandée par la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui juge que ce sont les gouvernements qui ont provoqué les déficits zéro en se privant de revenus divers depuis une quinzaine d'années.

Selon l'étude, le gouvernement dispose de 8,4 milliards de moins pour boucler son budget, si l'on additionne les baisses d'impôts et les hausses de dépenses (c'est 8,6 milliards moins un effet technique de 0,2 milliard).

La présidente de la CSQ, Louise Chabot, soutient que ces décisions passées ont provoqué l'austérité d'aujourd'hui, qui «met les services publics en péril». Elle pourfend bien sûr les baisses d'impôts, et non les mesures sociales.

Ce que j'en pense? Le raisonnement de la CSQ n'est pas faux, mais il faut y apporter trois bémols.

D'abord, les impôts des contribuables ont été abaissés à partir de 1998, après plusieurs années de hausses répétées. Les impôts élevés avaient servi à combattre les importants déficits annuels de l'époque, tant à Québec qu'à Ottawa, et la grogne des contribuables était alors à son comble. À Québec, les tables d'imposition ont été pleinement indexées à l'inflation seulement à partir de 2002.

Autrement dit, la comparaison part essentiellement d'un sommet d'imposition au Québec, et les résultats auraient été passablement différents avec une date plus tôt ou plus tard.

Ensuite, l'analyse ne tient pas compte de l'importance de la concurrence fiscale entre les provinces. Le Québec était à l'époque - et il l'est toujours - l'endroit où le taux d'imposition maximal des revenus est le plus élevé. Ne pas baisser les impôts aurait pu accroître davantage le solde migratoire déjà négatif du Québec.

Enfin, l'étude se base sur un modèle comptable statique et ne prend pas en compte l'effet des baisses d'impôts et des mesures sociales sur l'activité économique. Il est bien possible que le manque à gagner net ne soit pas de 8,4 milliards mais passablement moindre, si l'on tient compte des impacts économiques. Quoi qu'il en soit, l'étude a le mérite de rappeler que les 15 dernières années fiscales n'ont pas été une catastrophe pour les riches, la classe moyenne et les moins nantis, contrairement à la perception répandue.

Et que le gouvernement a effectivement moins de fonds qu'avec le régime de 1997.

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RÉGIME FISCAL QUÉBÉCOIS: LES GAINS NETS DEPUIS 1997(1)

[Revenus disponibles des ménages (1) | Gains nets]

18 678$ | 4,3%

22 940$ | 4,3%

29 907$ | 5,7%

36 977$ | 5,0%

43 327$ | 4,5%

51 369$ | 3,6%

63 838$ | 3,5%

77 301$ | 3,6%

97 956$ | 3,4%

125 898$ | 3,8%

236 570$ | 3,9%

(1) Il s'agit des revenus disponibles moyens des 10 quantiles de revenus, soit après impôts et transferts, mais avant paiement des taxes de vente. Un revenu disponible de 77 301$ équivaut à un revenu avant impôt de 93 536$.