Les accusations contre SNC-Lavalin ont été rendues publiques à 8h47 hier matin. Vingt-sept minutes plus tard, la multinationale répliquait par un long communiqué contestant les accusations de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

À l'évidence, SNC-Lavalin se préparait depuis longtemps à être accusée. Le communiqué de 1060 mots est environ 35% plus long que cette chronique, que j'ai mis bien plus que 27 minutes à écrire. Je veux croire que je ne suis pas le plus rapide, mais tout de même...

La vive réaction de l'organisation est compréhensible. Les entreprises accusées au criminel sont très rares, encore davantage celles inscrites en Bourse. L'impact peut donc être très nuisible pour les affaires.

D'abord, les accusations ternissent la réputation de l'organisation, et donc la confiance des clients et des fournisseurs. Mais surtout, un verdict de culpabilité pourrait hypothéquer une partie appréciable de son volume d'affaires, soit les contrats publics, puisque les gouvernements sont de plus en plus allergiques à la fraude et à la corruption.

Bien sûr, les investisseurs et le public sont bien au fait des problèmes d'éthique qu'a connus SNC-Lavalin. Mois après mois, les médias ont traité des pots-de-vin des dirigeants de l'entreprise pour obtenir le chantier du Centre universitaire de santé McGill (22,5 millions) et de la corruption pour des contrats en Libye (fraude présumée de 130 millions sur 10 ans et pots-de-vin de 48 millions).

Hier, l'Autorité des marchés financiers (AMF) déclarait d'ailleurs qu'elle «ne compte pas révoquer l'autorisation accordée à SNC» en février 2014 pour l'obtention de contrats publics. «Les événements à l'origine des accusations étaient connus de l'Autorité au moment où la décision a été rendue et le tout a donc été considéré dans le cadre de notre décision», nous écrit le porte-parole, Sylvain Théberge.

Il reste que les deux chefs d'accusation de fraude et de corruption déposés par la GRC pour les affaires en Libye sont très sérieux. Ces accusations liées à l'ex-vice-président Riadh Ben Aïssa, déclaré coupable en Suisse, sont maintenant déposées non pas contre des individus, mais contre l'entreprise.

Ce geste signifie que la GRC croit être en mesure de démontrer que la fraude perpétrée pendant 10 ans (10 ans!) recevait une approbation directe ou implicite des principaux dirigeants de SNC ou encore qu'il y avait aveuglement volontaire de l'entreprise. En somme, il pourrait être prouvé devant un tribunal que ce mode de fonctionnement avait fait tache d'huile chez SNC et qu'il pourrissait l'organisation depuis longtemps.

Hier, SNC-Lavalin a rappelé à quel point la direction a fait table rase des pratiques passées depuis trois ans. En plus d'avoir remercié ou poursuivi les indésirables, elle a nommé un chef de la conformité et des adjoints partout dans le monde, nommé un contrôleur indépendant recommandé par la Banque mondiale, produit un manuel anticorruption, etc.

L'entreprise estime que les poursuites de la GRC devraient viser les personnes concernées plutôt qu'elle-même. Elle note qu'ailleurs, comme aux États-Unis et au Royaume-Uni, l'approche des autorités à l'égard des accusations est différente, qu'elle permet «d'équilibrer, dans l'intérêt public, l'imputabilité des entreprises et le souci de préserver les emplois et les retombées économiques».

Le 7 octobre dernier, lors d'une entrevue au Globe and Mail, le PDG Robert Card a averti que des accusations criminelles contre l'entreprise pourraient menacer l'avenir même de l'organisation. De telles accusations pourraient provoquer la fermeture de l'entreprise ou sa vente à une firme étrangère, avait-il expliqué. Les quelque 5000 emplois du siège social montréalais seraient ainsi menacés.

Le lendemain, Robert Card avait tempéré ses propos, mais la portée de sa déclaration initiale au Globe reste marquante.

Hier, dans son communiqué, le grand patron insiste sur l'importance de SNC-Lavalin dans le paysage canadien et québécois, «la seule qui figure parmi les grandes firmes d'ingénierie et de construction au monde».

Bien que l'entreprise soutienne que ces accusations ne nuisent pas à sa capacité de soumissionner, comme c'est le cas au Québec, un procès criminel et une sentence de culpabilité ne seraient pas la meilleure carte de visite dans les pays du Maghreb et ailleurs.

Il faut donc espérer que la question se réglera rapidement, tant pour l'entreprise que pour Montréal. Si elle est reconnue coupable, SNC-Lavalin devrait payer une amende qui serait essentiellement fonction des avantages qu'elle aurait tirés de la fraude et de sa complexité. Le juge devrait aussi tenir compte de facteurs atténuants, comme le ménage fait par l'organisation et l'impact de l'amende sur sa viabilité.

Aux États-Unis, les amendes pour des situations semblables ont oscillé entre 0,6 et 6,0 fois le pot-de-vin, selon la firme Dundee Capital Markets. Sur cette base, SNC-Lavalin pourrait donc être appelée à verser entre 29 et 290 millions de dollars pour le pot-de-vin de 48 millions. De telles sommes seraient bien reçues par les marchés financiers. Vivement qu'on mette ce cauchemar derrière nous!