Les décideurs se cassent la tête pour réduire les coûts du système de santé en travaillant sur l'offre de services. Or, l'évolution de la demande pour des soins de santé est un autre élément capital dans l'équation, soit le comportement des patients.

À cet égard, une récente étude du Conference Board vient chiffrer les effets des bonnes habitudes de vie des patients sur les coûts du système de santé au Québec. Si une petite partie de la population changeait ses habitudes, le système de santé et l'économie du Québec pourraient faire des gains de plus de 800 millions par année!

Il s'agit d'estimations à long terme, et les résultats sont forcément approximatifs. L'étude commandée par la Direction générale de la santé publique du ministère de la Santé est néanmoins sérieuse et fonde ses conclusions sur des hypothèses prudentes.

Essentiellement, l'étude mesure les effets d'un changement de comportement sur la prévalence des six maladies chroniques au Québec, à savoir l'hypertension, le diabète, la maladie pulmonaire obstructive (bronchite chronique), le cancer du poumon, les maladies du coeur (cardiopathies ischémiques) et les maladies cérébrovasculaires (AVC).

Certains facteurs ont un impact majeur sur ces maladies courantes, comme le tabagisme, l'embonpoint et l'inactivité physique. En réduisant ces facteurs de risque, le Québec pourrait espérer des économies importantes d'ici 2030.

Pour évaluer les gains, les chercheurs ont comparé l'écart de coûts entre le statu quo dans la population d'ici 2030 et le changement de certaines habitudes. On a évalué les différences pour les coûts directs (médicaments, soins médicaux), mais aussi indirects, c'est-à-dire la valeur du manque à gagner en revenus imputable à la maladie. «Une personne invalide qui meurt prématurément représente également une perte de production tangible et quantifiable», font valoir les chercheurs.

D'ici 2030, compte tenu du vieillissement de la population, l'hypertension augmentera, tout comme l'embonpoint et le diabète. Par contre, l'étude prévoit que la proportion de fumeurs continuera à diminuer et que les gens feront davantage d'activités physiques et consommeront davantage de fruits et légumes (cinq par jour).

Le Conference Board estime qu'en modifiant ces tendances dans la population pour rendre le Québec comparable aux autres provinces, notamment la Colombie-Britannique, il est possible de faire des économies appréciables. Selon l'étude, la proportion de Québécois qui ne fait pas suffisamment d'activités physiques pourrait être ramenée de 51,0% à 38,5%, la proportion de gens obèses pourrait être stabilisée à 17%, et le taux de fumeurs quotidiens pourrait être abaissé à 9% (contre 17% aujourd'hui), par exemple.

En atteignant ces cibles, l'étude estime qu'en 2030, les coûts directs au système de santé pourraient être réduits de 189 millions et les coûts indirects pour l'économie, de 624 millions, soit un total de 813 millions. En additionnant l'ensemble des économies annuelles d'ici 2030, l'étude obtient des économies de coûts directs de 1,8 milliard et indirects de 5,9 milliards, pour un total de 7,7 milliards.

Des choix politiques

Richard Lessard, médecin consultant en santé publique, croit que l'étude est éloquente. Toutefois, il juge qu'on ne peut s'en remettre à la seule bonne volonté des individus pour y parvenir; il faut que le gouvernement fasse des choix politiques.

«C'est vrai que les patients sont responsables de leur inactivité physique ou de leur tabagisme, mais il y a des environnements facilitants», dit M. Lessard, qui a été directeur de la santé publique à Montréal pendant 20 ans.

Il donne l'exemple de la piétonnisation de certaines artères urbaines, de l'aménagement de pistes cyclables, de l'encouragement au transport en commun, etc. À l'école, il pourrait être possible de mieux renseigner encore les élèves sur les effets de leurs habitudes sur leur santé.

Le gouvernement pourrait aussi instaurer des mesures plus sévères concernant les aliments préparés, qui regorgent de sel, de sucre et de gras. Il pourrait aussi être envisagé d'obliger les chaînes de restauration rapide à inscrire le taux de sel, de sucre et de gras de leurs aliments.

Moins d'argent au Québec

En 2003, le Programme national de santé publique du Québec avait fixé des objectifs pour six facteurs de risque. Malheureusement, les cibles ont été atteintes pour seulement deux des six facteurs (tabac et diabète), les quatre autres étant l'embonpoint, l'obésité, l'activité physique et la consommation de fruits et légumes.

Richard Lessard et l'expert Alain Poirier craignent que les compressions de 30% dans les budgets de santé publique viennent saper les efforts des dernières années dans la prévention. «C'est une catastrophe, c'est clair», dit le Dr Poirier, expert associé à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Selon une étude de l'Institut C.D. Howe parue à la mi-décembre, le Québec est la province qui dépense le moins en santé publique. Ici, la dépense est de 117$ par habitant contre 379$ en Colombie-Britannique, 264$ en Ontario et 245$ dans l'ensemble canadien. Il est à craindre que les compressions se traduisent, à terme, par une hausse des coûts de santé plutôt que par une baisse.

Quoi qu'il en soit, les habitudes de vie des patients ont un grand rôle à jouer dans les coûts du système, et le gouvernement ne doit pas perdre de vue cette mission essentielle dans ses réformes.

Six facteurs de risque d'une bonne santé publique

Pourcentage des Québécois touchés dans chaque catégorie

1. Hypertension 17,5%

2. Obésité 17,2%

3. Tabagisme 17,7%

4. Diabète 6,5%

5. Inactivité physique 50,7%

6. Insuffisance de fruits et légumes 53,0%

Source: Conference Board du Canada