Il y a essentiellement deux «courants de pensée» pour expliquer les licenciements du Groupe SNC-Lavalin. Le premier penche pour la fragilité de l'économie mondiale, tandis que le second évoque plutôt les conséquences des problèmes passés de la firme de génie-conseil, notamment sur le plan éthique.

L'annonce des 4000 licenciements est une surprise pour les néophytes, qui suivent l'entreprise de loin en loin. Pour bien des observateurs avisés, toutefois, la nouvelle était écrite dans le ciel. «Je ne suis pas surpris. Je suis surtout étonné qu'il ait fallu autant de temps pour que ça se produise», dit notamment Alain Chung, gestionnaire de portefeuille chez Claret.

Que se passe-t-il? Hier, l'entreprise a annoncé des bénéfices plus petits que ce que prévoyaient les analystes. Au troisième trimestre terminé le 30 septembre, le bénéfice net a atteint 77 cents par action, une fois retranchés les éléments extraordinaires, alors qu'une firme comme Valeurs mobilières Desjardins prévoyait 81 cents. Le secteur-clé de la société (ingénierie et construction) n'a pu livrer mieux que 19 cents par action, alors les analystes s'attendaient à 21 cents et que Desjardins anticipait 30 cents.

Surtout, SNC-Lavalin a annoncé hier que ses profits pour l'ensemble de 2014 seront d'environ 20% moindre que prévu. Ces mauvaises nouvelles ont immédiatement fait reculer le titre boursier, qui a terminé la journée en baisse de 8,1%, à 42,47$.

Les investisseurs sont impitoyables. Ils n'acceptent pas que la rentabilité de leur placement baisse ou, autrement dit, que leur fonds de retraite perde des plumes. Ainsi, quand la direction d'une entreprise en Bourse voit ses profits diminuer, elle doit réagir. Le licenciement de 4000 personnes, dont 1000 au Canada, doit être vu dans ce contexte: une réduction des coûts pour améliorer les profits.

Certains observateurs jugent que la fragilité de l'économie explique les difficultés de l'entreprise. Par exemple, SNC-Lavalin est bien présente dans le secteur minier. Or, depuis trois mois, le prix du cuivre a reculé de 10%, celui du nickel, de 5%, et celui des métaux industriels, de 6%. Ces prix moindres sont de nature à freiner les promoteurs miniers et à nuire à SNC.

Quant au prix du pétrole, il a perdu près de 20% depuis trois mois, à 77,91$US le baril, ce qui pourrait remettre en question certains projets et affecter SNC-Lavalin.

Un deuxième «courant de pensée» croit plutôt que SNC-Lavalin est encore touchée, à retardement, par ses problèmes éthiques passés. En avril 2013, rappelons-le, la Banque mondiale a radié pour 10 ans SNC-Lavalin à la suite d'un scandale de corruption au Bangladesh. Cette radiation n'est pas sans conséquence: la firme a dû se désister d'un des plus importants projets de complexes hydroélectriques au monde ces derniers mois, soit celui de la République démocratique du Congo. Ce projet comprend plusieurs phases, mais au total, il porte sur une puissance de 39 000 mégawatts, soit autant que toute la puissance hydroélectrique du Québec.

Hier, la direction de SNC n'a pas abordé cette question directement. Elle soutient néanmoins que sa rentabilité plus chancelante est attribuable, entre autres, à certains gros contrats conclus par l'administration précédente, notamment en Libye et en Tunisie, précisément le lieu de certains scandales. Ces contrats prendront fin au cours des prochains mois, mais les dirigeants calculent qu'ils n'en tireront aucun profit.

Au cours d'une téléconférence, le PDG de l'entreprise, Robert Card, s'est voulu rassurant. Il affirme que les compressions ont été mûrement réfléchies ces derniers mois, dans le cadre d'un processus de planification stratégique. Qu'elles visent à rendre l'entreprise plus «agile», plus efficace, en laissant tomber certains segments de marché moins rentables. Qu'elles sont un aboutissement d'une réorganisation amorcée il y a exactement un an.

Plus encore, Robert Card affirme que le marché des infrastructures est robuste et que la récente acquisition de Kentz, dans le secteur pétrolier, est porteuse, malgré la baisse du prix du pétrole.

De fait, le carnet de commandes de l'entreprise a pris du volume depuis un an. En septembre 2013, il était de 9,0 milliards de dollars. Or, il est maintenant de 11 milliards, voire de 12,5 milliards si l'on inclut la récente acquisition de Kentz.

«Le ralentissement de certains marchés donne l'occasion à SNC de nettoyer la maison, croit le gestionnaire de portefeuille Alain Chung. Certains attribuent ce nettoyage au ralentissement du marché. Moi, je crois que ce sont surtout les conséquences des scandales des dernières années.»

En attendant, ce sont d'autres emplois payants qui disparaissent dans l'industrie et à Montréal. À la fin de septembre, rappelons-le, la firme d'ingénierie Dessau, de Laval, a été vendue à la société Stantec, ce qui ne sera pas sans effet sur le siège social. Heureusement qu'en contrepartie, la firme de génie montréalaise WSP prend de l'expansion à l'étranger.