Ils me suivaient l'un derrière l'autre, à travers les branches, en pleine forêt. Douze campeurs venus de la ville, douze adolescents et adolescentes de 13 ans, bruyants, dissipés et en sueur.

En apparence, j'étais plein d'assurance, plein de pep, comme on disait. Sauf que depuis une heure, nous avions perdu toute trace d'un quelconque sentier, et il fallait bien que je me rende à l'évidence: nous étions perdus.

Évidemment, il n'était pas question pour moi de montrer le moindre signe de stress aux jeunes. Pas question de leur dire que je ne savais plus trop où nous étions. Après tout, j'étais le responsable, le seul adulte de l'excursion, même si mon aide-moniteur, de deux ans mon cadet, me donnait un solide coup de main.

En façade, donc, pas de panique. Mais à l'intérieur, l'angoisse rongeait mes jeunes tripes de 18 ans. Je me voyais déjà monter un camp de fortune et organiser des relais pour maintenir, jour et nuit, un feu nourri afin d'alerter les secouristes. Je pensais aux parents des enfants, qui se sentaient rassurés par la bonne réputation de ce camp de vacances de Saint-Donat, niché sur le bord du majestueux lac Archambault.

- Allez, la gang, on chante: Mon père n'a plus que 29 poulets.

- Mon père n'a plus que 29 poulets.

- Marchant au pas accéléré.

- Marchant au pas accéléré.

Plus le temps avançait, plus la forêt se faisait dense. Il fallait casser les branches des épinettes pour avancer, péniblement. Et ceux qui connaissent les forêts de conifères du Nord se doutent bien qu'il fallait aussi, en ce début d'été, y affronter les mouches noires et autres moustiques assoiffés de sang.

- Car il en avait tren-ente.

- Car il en avait tren-ente.

- Et al-longez la jan-ambe.

- Et al-longez la jan-ambe.

J'avais préparé l'excursion comme il se doit. La veille de notre départ pour deux jours, j'avais réuni mon groupe d'adolescents autour d'une carte du secteur, indiqué nos lieux de campement, donné un aperçu de nos repas. Surtout, je leur avais rappelé la liste des effets à apporter, insistant sur le chasse-moustique.

- Et allongez la jambe, la jambe, car la route est lon-ongue.

- Et allongez la jambe, la jambe, car la route est lon-ongue.

Mon barbu de patron, un habitué de ce genre d'expéditions, m'avait bien expliqué le chemin. C'est simple, simple, m'avait-il dit. D'abord, monter le mont Garceau. Puis, emprunter le sentier derrière la montagne de ski et suivre les balises. Après quelques kilomètres de marche, il n'y aura plus de balises, mais il suffira de descendre tout droit jusqu'à une route d'asphalte...

Simple, simple, mon oeil. Bien sûr, je connaissais les rudiments de la boussole et de la survie en forêt, ayant moi-même été campeur et aide-moniteur, mais jamais je n'imaginais y avoir vraiment recours. Et voilà que les jeunes, chargés comme des mulets, commençaient à se plaindre.

- Sais-tu où on va, Piffon? me demande l'un d'eux en m'appelant par mon nom de camp.

- Oui, oui, pas de problème, c'est tout droit, en bas de la côte. On voit d'ailleurs que la forêt s'éclaircit. Allez on chante: Mon père n'a plus que 28 poulets.

- Mon père n'a plus que 28 poulets.

Rendu en bas de la côte, dans la prétendue clairière, pas de sentier, pas de route asphaltée, pas de ruisseau, rien. Et ça recommence à monter.

- Est-ce qu'on est perdus, Piffon? J'ai chaud.

- Non, non. Je sais où on est, mais pas tout à fait. C'est le temps de boire de l'eau, les jeunes, avant de monter à nouveau. En haut, vous allez voir, ça va être tiguidou.»

Rendu en haut, 500 mètres plus loin, on aperçoit à nouveau un genre de clairière à l'horizon. Je demande au singe du groupe de grimper dans un arbre pour tenter de lire l'avenir, me gardant toujours de prononcer le mot «perdu». Malheureusement, l'avenir ressemble au passé: une forêt remplie d'arbres. Le singe se dit tout de même plutôt certain que la clairière n'est pas un mirage.

Le pep du capitaine avait disparu, même en apparence, et le fond de l'air sentait l'insurrection. Malgré tout, on se remet à descendre. Et au bout de quelques minutes, eurêka! le miracle asphalté nous apparaît, grandiose. Merci mon Dieu, que je me dis en moi-même. S'il avait fallu...

«Je vous l'avais dit. Je n'ai jamais douté», dis-je aux jeunes.

Trente ans plus tard, quand je repense à cette expédition, je me dis qu'il faut faire confiance à nos patrons, mais qu'il n'est pas interdit de les critiquer quand ils sont trop vagues sur la route à suivre.