Si mon voisin de banlieue abandonne son emploi parce qu'il en a ras le bol, il n'aura pas droit aux prestations d'assurance-emploi. S'il part parce qu'il trouve mieux ailleurs, son employeur ne lui versera pas de juteuse récompense au moment de son départ.

Alors pourquoi Gaétan Barrette a-t-il eu droit à une indemnité de départ de 1,2 million de dollars en quittant volontairement la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ)? Ce questionnement refait surface chaque fois qu'un gestionnaire touche le pactole en quittant son emploi de plein gré, comme c'est le cas du Dr Barrette, tel que révélé par Le Journal de Montréal hier.

Verser une prime à un cadre parce qu'il quitte volontairement son poste défie toute logique de gestion. Imaginez si votre patron planifiait de vous récompenser au moment où vous passez à la concurrence, ce serait ridicule, puisqu'une entreprise cherche à retenir ses cadres performants, et non à les encourager à partir.

Les experts peinent même à s'entendre sur le terme français à donner à ce genre de versements. Ce n'est pas une indemnité de départ, puisqu'une indemnité est un dédommagement versé à quelqu'un en réparation d'un dommage, d'un préjudice. Dans les entreprises privées à but lucratif, par exemple, on la verse à un cadre lorsqu'il est mis à la porte, et non lorsqu'il choisit librement de démissionner pour aller travailler ailleurs.

Ce n'est pas davantage une prime, puisqu'une prime vise à récompenser un rendement ou un travail donné, et non à souligner le simple passage du temps, comme c'est le cas d'une indemnité de départ, versée en fonction du nombre d'années de service. Bref, c'est un non-sens.

Ce non-sens est d'autant plus discutable qu'il est financé par les contributions des médecins spécialistes à la FMSQ, contributions qui sont déductibles des impôts. Bien sûr, l'indemnité-prime sera lourdement imposée, mais la question n'est pas là.

Par ailleurs, rappelons qu'en 2009, Gaétan Barrette a obtenu pour ses médecins spécialistes une juteuse augmentation de salaire (500 millions), qui accapare environ 40% de l'augmentation annuelle des dépenses de santé. Or, le Dr Barrette pourrait devenir le ministre de la Santé - ou en être le proche conseiller - et devoir négocier l'étalement de cette hausse pour soulager les finances publiques.

À la FMSQ, on nous indique que le Dr Barrette n'avait rien touché lors de sa candidature à la Coalition avenir Québec (CAQ), il y a 18 mois. Il n'a toutefois pas été possible de savoir si la nouvelle présidente, Diane Francoeur, touchera elle aussi une indemnité-prime pour un éventuel départ volontaire.

À la décharge de Gaétan Barrette, il faut dire qu'il n'est pas le seul à avoir bénéficié d'un tel avantage. Mais ironiquement, tous les cas recensés viennent du secteur public ou d'organisations privées à but non lucratif, comme les syndicats. Petit à petit, ces sommes versées lors d'un départ volontaire tendent toutefois à disparaître.

SAQ, Hydro...

Des exemples? En 2008, l'ex-PDG de la Caisse de dépôt et placement, Henri-Paul Rousseau, a touché 378 750$ lorsqu'il a volontairement quitté l'institution pour Power Corporation. Par la suite, la Caisse a aboli ce genre de primes.

Philippe Duval, ex-PDG de la Société des alcools du Québec (SAQ), avait une clause semblable dans son contrat, ce qui lui a permis de toucher une indemnité-prime d'environ 300 000$ lorsqu'il a pris sa retraite, en décembre dernier. Le contrat de son remplaçant, Alain Brunet, ne comprend plus une telle clause.

Au fédéral, les indemnités versées à tous les fonctionnaires pour un départ volontaire ou au moment de la retraite ont été abolies en 2012. À Québec, les hauts fonctionnaires à forfait (pas les fonctionnaires permanents) ont généralement droit à une indemnité, mais seulement si leur mandat est résilié ou n'est pas renouvelé.

En fait, seul le PDG d'Hydro-Québec, Thierry Vandal, semble encore bénéficier d'une clause de prime pour départ volontaire, inscrite dans son contrat de 2007. De même que les ministres et députés de l'Assemblée nationale.

Qu'on ne se méprenne pas: il n'est pas question de dénoncer les «méchants riches», comme le dit Gaétan Barrette. Les riches, tant mieux s'ils sont riches et que leur richesse est méritée.

Non, il est plutôt question de déplorer l'enrichissement injustifié. Et de faire prendre conscience à ceux qui naviguent dans les hautes sphères, hauts dirigeants comme médecins spécialistes, qu'ils finissent par en perdre la mesure.