Quoi qu'en dise l'acheteur Mattel, Montréal perdra probablement un siège social avec la vente du fabricant de jouets Mega Brands. Cet enjeu n'a toutefois rien à voir avec le rapport sur la question déposé la semaine dernière par le gouvernement. Et la transaction, en fin de compte, ne sera pas nécessairement néfaste pour la région.

L'offre de 460 millions US de Mattel (17,75$ CAN l'action) a été acceptée à l'unanimité par le conseil d'administration de Mega Brands. Il ne s'agit pas d'une offre hostile, inamicale, mais d'une offre bienvenue, au grand plaisir de la torontoise Fairfax Financial Holdings et de la famille fondatrice Bertrand, respectivement actionnaires à 29% et à 10%.

Le rapport Séguin, déposé par le ministre des Finances du Québec, Nicolas Marceau, vise à protéger les entreprises québécoises en Bourse contre des offres non sollicitées, par des prédateurs opportunistes, assoiffés de gains à court terme. Rien de semblable dans la transaction de Mega Brands.

Bien sûr, il aurait été préférable, pour l'entreprise montréalaise, d'être l'acheteur plus que la proie, le «consolidateur» plutôt que le «consolidé». Mais ainsi fonctionne le libre marché: certaines de nos entreprises sont vendues, d'autres font l'acquisition d'entreprises à l'étranger. Et le rapport Séguin ne s'oppose nullement à ce jeu.

Le PDG de Mattel, Bryan G. Stockton, dit vouloir garder le siège social montréalais, comme le disent la plupart des acquéreurs au moment d'une transaction. Mais son vice-président finances, Kevin Farr, admet vouloir faire des économies avec les frais d'administration (overhead synergies).

Montréal perdra vraisemblablement les fonctions liées aux finances, aux affaires juridiques et aux communications. En revanche, la ville devrait conserver une bonne part des emplois stratégiques liés «au design, au développement, à l'ingénierie, à la fabrication et au marketing» des petits blocs, promet Mattel. En plus, la filiale Mega Brands pourra compter sur la force de frappe d'un géant du jouet.

Fabrication? À Montréal? Les jouets en plastique ne sont-ils pas tous fabriqués en Chine de nos jours? Eh bien non, dans le cas de Mega Brands, la moitié des jouets est maintenant fabriquée à Montréal, dans une usine ultra-moderne et robotisée.

La semaine dernière, justement, le concurrent de Lego a fait une présentation fort intéressante sur son nouveau modèle d'affaires à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. En 2008, la production de Mega Brands à Montréal représentait tout juste 20% du chiffre d'affaires, soit environ 70 millions de dollars.

Cette proportion est passée à 50% en 2012 après que l'entreprise a investi 35 millions de dollars dans des dizaines de presses à injection électrique, capables de produire 7 millions de petits blocs par jour. Pendant ce temps, l'usine de Mega Brands en Chine, avec 6000 employés, fermait ses portes.

L'immense usine de Montréal correspond exactement au modèle d'investissement améliorant la productivité dont tous les économistes parlent et la direction de Mattel l'a sûrement constaté.

Montréal perdra donc certaines fonctions de siège social, mais il ne faut pas oublier qu'il a failli tout perdre, il y a quatre ans, quand Mega Brands a frôlé la faillite. L'entreprise a alors dû complètement restructurer son capital, en 2010.

Essentiellement, l'entreprise avait réduit sa dette de 287 millions US, ce qui lui permettait d'économiser des frais d'intérêt de 30 millions US. Les actionnaires avaient accepté d'avaler la pilule, mais l'arrivée des sauveurs, notamment Fairfax, avait fait fondre leur participation de 100% de l'entreprise à moins de 10%.

À l'époque, faut-il le rappeler, Mega Brands avait difficilement digéré l'américaine Rose Art, acquise en 2005. Mega Brands et les ex-proprios de Rose Art, la famille Rosen, s'étaient engagés dans un dédale de poursuites. Entre autres, Mega Brands accusait la famille Rosen de lui avoir caché qu'elle était au courant des problèmes importants de certains de ses jouets.

Plus précisément, des enfants avaient subi des blessures après avoir avalé des aimants des jouets Magnetix. Un bébé de 20 mois en était même mort. Ces nouvelles avaient entraîné des poursuites de consommateurs et terni l'image de l'entreprise, avec un effet néfaste sur les ventes.

En somme, Montréal ne se tire pas si mal de l'aventure Mega Brands.