Il a été le grand responsable des finances de la Ville de Montréal pendant presque 30 ans. Il a répondu aux demandes des maires Jean Drapeau, Jean Doré, Pierre Bourque et Gérald Tremblay.

Or, aujourd'hui, Roger Galipeau fait un constat troublant: les routes, les immeubles et autres infrastructures de la ville ont été à ce point négligés qu'ils accusent un déficit d'entretien astronomique de 12,7 milliards de dollars.

Ce laisser-aller a des conséquences importantes, m'explique l'homme de 77 ans au cours d'une entrevue. En juin 2012, par exemple, la chaussée s'est affaissée à l'angle de la rue Sainte-Catherine et de l'avenue McGill College, en plein centre-ville, créant un immense trou. Par chance, les anciens rails de tramway avaient servi de soutien et permis d'éviter une catastrophe.

La négligence dans l'entretien a commencé au milieu des années 70, soutient celui qui a travaillé pour la Ville entre 1970 et 1999. Le laxisme s'explique par des considérations budgétaires et politiques: pour équilibrer leurs budgets, les élus ont trop souvent choisi la voie facile de couper dans l'entretien des infrastructures plutôt que dans les services ou les salaires.

«C'est facile d'équilibrer un budget. On coupe dans l'entretien des immeubles, des routes, etc. Or, si vous n'entretenez pas votre voiture, si vous ne changez pas l'huile régulièrement, elle va durer beaucoup moins longtemps. Il faudra alors en acheter une neuve et ça coûtera plus cher», dit l'ex-contrôleur général et directeur des finances de la Ville.

Ce déficit de 12,7 milliards est énorme, sachant que la Ville de Montréal a un budget annuel de près de 5 milliards de dollars. Roger Galipeau parvient à cette estimation en soustrayant les sommes annuelles prévues pour l'entretien de celles réellement dépensées. Il a fait confirmer l'essentiel de ses calculs à la Ville.

Des quatre divisions, c'est le réseau d'aqueduc et d'égouts qui aurait le plus gros déficit (4,6 milliards), suivi de la voirie (3,5 milliards) et du réseau de transports en commun (3,6 milliards, essentiellement assumés par le gouvernement du Québec). Le parc immobilier de la Ville accuserait un déficit de 1 milliard.

Pour illustrer son propos, Roger Galipeau donne l'exemple d'une décision récente de Michael Applebaum. À l'automne 2012, l'ex-maire déchu a choisi de couper dans le Fonds de l'eau pour satisfaire l'opposition et plafonner les hausses de taxes à 2,2% (plutôt que 3,3%). «On reporte, on reporte, mais on écope tôt ou tard», dit le sage aux cheveux blancs.

Pour sortir de ce cercle vicieux, Roger Galipeau croit que les administrations municipales devraient être tenues de présenter des budgets d'entretien équilibrés sur cinq ans. Le gouvernement du Québec devrait en faire une exigence dans un projet de loi, dit-il.

«C'est comme ça que New York est sorti du pétrin. Il faut encadrer les gouvernements municipaux comme on a encadré les banques canadiennes, qui ont bien traversé la crise. Pour chaque investissement ou chaque dépense, il faut connaître l'impact sur le budget et préciser d'où viennent les fonds», dit-il.

Il vante les mérites des fonds dédiés, plutôt que globaux. Il milite aussi pour l'établissement de réserves financières d'environ 15% du budget pour parer les imprévus, comme une chute de neige plus abondante.

En Ontario, par exemple, la Ville de Vaughan, près de Toronto, a créé 65 fonds dédiés et sa réserve est maintenant de 300 millions de dollars. À Québec, l'administration met de côté 22,4 millions par année afin de pouvoir, d'ici 2021, payer comptant 70% de ses immobilisations. À Gatineau, on a établi des taxes dédiées pour résorber ce qu'on appelle un «déficit caché" d'entretien.

Montréal n'est pas seul dans cette situation. Plusieurs autres villes ont coupé les coins ronds pour boucler leur budget. Le déficit d'entretien des villes canadiennes atteindrait même 145 milliards.

Les gouvernements fédéral et provinciaux sont également dans la ligne de mire du comptable. Roger Galipeau salue les dispositions législatives du gouvernement du Québec sur le retour à l'équilibre budgétaire et sur la réduction de la dette, mais il juge que la réserve du gouvernement est nettement insuffisante.

Pour la Ville de Montréal, Roger Galipeau croit qu'il faut établir un plan afin de combler le déficit de 12,7 milliards, sur 15 ou 20 ans, par exemple. Le plan devrait être financé par une taxe dédiée ou une réduction de la masse salariale. «Il y aura des objections de la population et des groupes de pression, mais il ne faut pas attendre, sinon on aura encore plus de problèmes», dit-il.

Alors, on fait quoi? On attend qu'un autobus tombe dans un trou?