Partout au Canada, les nouvelles infirmières doivent détenir un diplôme universitaire pour pratiquer. Partout, sauf au Québec. Pourtant, il va de soi que des infirmières mieux formées permettraient d'améliorer l'efficacité du système en allégeant la tâche des médecins.

Vous vous présentez aux urgences pour ce qui semble être une banale foulure? L'infirmière. Vous avez besoin d'ajustements de médicaments pour votre diabète? L'infirmière. Au suivant. Et on désengorge le système.

L'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) milite activement pour que le DEC-BAC devienne la norme pour les nouvelles infirmières. Pour en estimer l'impact sur le système, l'OIIQ a réalisé une étude économique en collaboration avec le CIRANO (Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations).

Tout a été pris en considération: les complications évitées aux patients avec des infirmières mieux formées, une meilleure complémentarité infirmière-médecin, un gain de temps pour les patients, etc. Résultat: le gouvernement du Québec pourrait réduire sa facture de 500 à 900 millions de dollars sur la durée de l'implantation du projet (neuf ans). Le gain à terme serait d'environ 200 millions par année, selon l'un des scénarios étudiés.

Pour l'ensemble de la société québécoise, le gain sur neuf ans serait de 1,3 à 4,0 milliards (réduction de l'absentéisme au travail des patients, etc.). Il serait d'environ 400 millions à partir de la neuvième année.

Parvenir à une telle estimation n'est pas simple. L'économiste de l'OIIQ, Pierre Éric Langlois, a passé en revue la littérature internationale sur le sujet. Les modèles retenus sont ceux du professeur de sociologie Linda Aiken, de l'Université du Texas, et du professeur de santé publique de l'Université de Californie, Jack Needleman, entre autres.

Essentiellement, ces chercheurs ont constaté qu'une augmentation de 10% du nombre d'infirmières qualifiées réduit d'environ 5% les cas de complications médicales (pneumonie, infections, problèmes respiratoires, etc.).

L'étude s'est également inspirée de l'expérience de quatre Centres de santé et de services sociaux (CSSS) de Chaudière-Appalaches. Pendant deux ans, les CSSS ont misé sur des infirmières bachelières pour prendre en charge des cas complexes, en partenariat avec le réseau.

Les résultats ont été spectaculaires: pour l'ensemble de la région, le nombre de consultations aux urgences a diminué de 27 à 50% et le nombre d'hospitalisations, de 21 à 44%.

Enfin, l'étude tient compte des coûts additionnels de formation (deux ans de baccalauréat) et de la hausse des salaires versés aux infirmières mieux formées.

Actuellement, environ le tiers des 72 000 infirmières du Québec a un baccalauréat, comparativement à plus de 40% en Ontario et plus de 55% aux États-Unis. L'OIIQ souhaite que la formation obligatoire à l'université débute en 2014 au Québec.

Une formation obligatoire ferait passer le nombre de bachelières à près de 60% en 2025, contre environ 42% si rien n'est fait. Pendant ce temps, l'Ontario et les États-Unis dépasseront 80%.

La présidente de l'OIIQ, Lucie Tremblay, fait valoir que la moitié de la population de 12 ans et plus souffre de maladie chronique (hypertension, diabète, asthme, etc.). Pour ces personnes, les urgences sont le pire endroit où se rendre, et les infirmières sont tout indiquées pour gérer leur dossier. Le vieillissement de la population milite également pour un recours plus grand aux infirmières et aux ressources communautaires (CLSC, etc.).

Depuis quelques mois, un comité multipartite se penche sur la question du rehaussement de la formation. Son rapport sera remis au ministre Réjean Hébert en septembre, nous indique-t-on au ministère de la Santé.

Actuellement, deux obstacles se dressent devant le baccalauréat obligatoire. D'abord, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) - le syndicat des infirmières - et la Fédération des cégeps reçoivent le projet tièdement. Elles disent craindre une pénurie d'infirmières durant les années de transition.

Autre embûche possible: la résistance au changement du système de santé. En effet, les infirmières ont beau être mieux formées, si le réseau et les médecins ne leur donnent pas davantage de responsabilités, il faut oublier les bénéfices attendus.

Bref, le projet est intéressant, il pourrait engendrer d'importantes économies, mais le réseau et les acteurs doivent accepter le nécessaire changement et s'adapter. Sommes-nous prêts?