Il existe un certain nombre de vaches sacrées au Québec, soit des politiques socio-économiques, des principes ou des constats qui ne peuvent être discutés sans soulever des protestations, du cynisme, voire du scepticisme. La Presse fait le tour de divers tabous pendant cinq jours. Aujourd'hui, la redistribution et l'excellence.

Le Québec est une société plus égalitaire, nous l'avons voulu ainsi et c'est tant mieux. Le problème, c'est que plusieurs ne veulent pas reconnaître que nous redistribuons beaucoup. Ils en demandent plus et ciblent nos riches.

Tous les indicateurs démontrent pourtant que les Québécois sont plus généreux qu'ailleurs. Le meilleur indicateur à cet égard est le coefficient de Gini, du statisticien italien Corrado Gini.

Ce coefficient universellement reconnu est un calcul complexe qui mesure le degré d'inégalité de la distribution des revenus dans une société. Le coefficient varie de 0 à 1. À 0, c'est l'égalité parfaite (l'idéal communiste) et à 1, l'inégalité totale (un maître et ses esclaves).

Dans les principaux pays industrialisés, le coefficient varie de 0,247 à 0,578. Or, le Québec a l'un des coefficients les plus faibles (0,293), ce qui signifie que nous sommes parmi les plus égalitaires. Le Québec est moins égalitaire que la Suède (0,250), mais plus égalitaire que le reste du Canada (0,317), que la France (0,327), que le Royaume-Uni (0,360) et que les États-Unis (0,408).

Le coefficient de Gini n'est pas le seul indicateur qui va dans ce sens. Une récente étude de HEC Montréal a mesuré les dépenses publiques au Québec depuis 20 ans comparées à celles de l'Ontario et du Canada. Pour la comparaison, l'étude a englobé les dépenses provinciales et municipales, parce que certaines dépenses sont assumées par le municipal dans les autres provinces.

Les chiffres sont clairs: au Québec, les dépenses publiques ont atteint en moyenne 16 150$ par habitant selon les chiffres les plus récents (2009), soit environ 1300$ de plus qu'en Ontario et 1450$ de plus que la moyenne des provinces canadiennes.

Les dépenses sont plus élevées même si le Québec est plus pauvre. Elles représentent ainsi une plus grande part de notre économie (47% du produit intérieur brut ou PIB), comparativement à 38% en Ontario et 39% au Canada.

Selon l'étude, 80% de la croissance des dépenses depuis 20 ans s'expliquent par une augmentation des services publics et 20% par une croissance de la population. Les dépenses de santé et d'éducation ont augmenté environ au même rythme au Québec qu'ailleurs au Canada.

Par contre, les dépenses pour les autres services sociaux ont explosé de 60% au Québec, deux fois plus vite qu'ailleurs. Les services de garde subventionnés, les congés parentaux et les dépenses liées au vieillissement de la population expliquent cette situation, selon l'analyse produite par le Centre sur la productivité et la prospérité.

Il y a une limite à redistribuer et elle a été atteinte au Québec.

Favoriser l'excellence

Dans les ligues de hockey amateur, les règles sont claires: les meilleurs joueurs sont classés deux lettres (AA, BB ou CC) et les autres, simple lettre (A, B ou C).

La compétition est féroce et le procédé de sélection est parfois déshonorant pour certains jeunes, mais les règles sont ainsi et elles sont acceptées. Cette valorisation de l'excellence n'est pas naturellement évidente dans d'autres sphères d'activité. On valorise l'excellence, mais pas trop, de peur de froisser les autres.

Dans le secteur public, les meilleurs n'ont pas plus d'avantages que les autres. Les meilleures infirmières, les meilleurs profs, les meilleurs directeurs d'école n'ont pas nécessairement plus d'avantages. Or, favoriser les meilleurs, d'une façon ou d'une autre, a un effet d'entraînement: les meilleurs profs aident mieux les raccrocheurs, alimentent mieux les futés, etc.

S'il est un secteur qui doit valoriser l'excellence, c'est bien l'université. Or, toutes les tentatives récentes à cet égard se sont se butées à une fin de non-recevoir: il faut niveler. Pas question d'accorder des faveurs aux principales universités de recherche, qui n'acceptent que les plus forts et concurrencent le monde.

Les universités McGill, de Montréal et Laval font 80% des projets de recherche et sont également les trois plus endettées (350 millions), mais pas question de les traiter différemment.

Selon le recteur Guy Breton, l'Université de Montréal dispose de deux fois moins de revenus par étudiant que les universités canadiennes hors Québec pour former des dentistes, par exemple. Dans un tel cas, il est impossible que notre politique du nivellement - une vache sacrée - ne finisse pas par nuire au Québec.