Voici la triste histoire d'une PME de Laval qui distribue des tissus humains. Le genre d'entreprise pas ordinaire dont on a vraiment besoin au Québec.

Citagenix recycle des os spongieux, des tendons et des granules d'os, entre autres. Chaque jour, hôpitaux et cliniques dentaires appellent l'entreprise pour combler leurs besoins. Tenez, il y a deux semaines, Citagenix a fourni un demi-bassin à un hôpital pour un patient qui avait des problèmes urgents. Elle aurait pu, par exemple, trouver des tendons au hockeyeur Andreï Markov lorsqu'il s'est blessé à la cheville, en 2009. Bref, une PME de 28 employés dont les Québécois devraient être fiers.

Or voilà, la survie de Citagenix est menacée. Pas parce qu'elle n'est pas rentable. Pas parce que ses clients sont insatisfaits. Pas parce que ses associés sont en chicane. Non, Citagenix est à la croisée des chemins parce que l'Agence du revenu du Québec a décidé de frapper.

Je sais, votre premier réflexe, comme moi, est de dire: qu'elle paie son dû et qu'on passe à autre chose. Justement, Citagenix paie ses impôts rubis sur l'ongle. Mais l'automne dernier, un vérificateur prétend avoir trouvé une faille dans son application de la taxe de vente (TPS-TVQ).

Depuis 15 ans, Citagenix ne réclame pas de taxe de vente à ses clients. L'entreprise dit appliquer religieusement la Loi sur la taxe d'accise, selon laquelle les produits médicaux sont détaxés. Le fisc a d'ailleurs entériné cette façon de faire de Citagenix lors de sa dernière vérification, en 1999, affirme le vice-président des finances de l'entreprise, Nicolas Bourgeois. Qui plus est, les concurrents de Citagenix au Canada ne prélèvent pas plus de taxes à leurs clients (j'ai vu plusieurs factures de concurrents).

Qu'à cela ne tienne, selon le fisc, Citagenix aurait dû taxer les produits vendus et remettre cette taxe aux autorités. Le fisc réclame donc 1,3 million de dollars pour les cinq dernières années financières de la PME.

Citagenix n'a pas cette somme. Et si elle veut contester devant les tribunaux, elle doit décaisser l'argent, en vertu de la loi. En effet, contrairement aux règles qui prévalent pour l'impôt sur le revenu, les contribuables doivent d'abord payer la facture et contester ensuite quand il s'agit de la taxe de vente.

Pour survivre, c'est donc le branle-bas de combat: la rémunération variable a été coupée de 20%, le bureau du député local a été contacté, un cabinet d'avocats a été embauché, etc.

Nicolas Bourgeois est convaincu d'avoir eu l'assentiment du fisc en 1999, mais il n'a pas conservé d'aussi vieux dossiers, passés à la déchiqueteuse. Il a donc demandé au fisc de sortir le dossier de l'époque. Pas si vite, l'ami, il faut faire une demande d'accès à l'information, lui a-t-on répondu. Après quelques semaines d'attente, le verdict est tombé: votre dossier de l'époque a été détruit.

«On nous met le fusil sur la tempe et on nous traite comme si on était des méchants. Or, personne ne sera gagnant si on ferme nos portes. Une PME se bat déjà contre de gros concurrents. Maintenant, il faut se battre contre notre propre gouvernement», dit M. Bourgeois.

Revenu Québec fait une interprétation de la loi qui n'est pas évidente, selon un fiscaliste d'expérience. Il n'existe d'ailleurs aucune jurisprudence sur ce sujet précis.

Que dit la loi, au fait? Essentiellement, les produits à usage humain qui servent à des fins médicales ou restauratrices sont détaxés, est-il indiqué à l'annexe VI de la partie II de la loi (articles 1.1 et 1.2). Plus précis encore: toute prothèse est détaxée, de même que tout article servant à la bonne application ou à l'entretien de la prothèse, disent les articles 25 et 26.

Pour la plupart, les produits de Citagenix servent comme prothèses naturelles ou comme soutiens à une prothèse. Par exemple, les médecins ont besoin de granule d'os pour solidifier une hanche avant l'implantation d'une prothèse. Même demande des dentistes, parfois, pour renforcer une mâchoire qui reçoit une nouvelle dent. Bref, des produits qui semblent détaxés.

Le plus ironique, c'est qu'une bonne part des nouvelles taxes qui seraient ainsi amassées par le gouvernement devrait être dépensée par les hôpitaux. En effet, 40% du volume d'affaires de Citagenix vient des hôpitaux, dont les taxes sont assumées par le gouvernement.

Au pire, Citagenix est disposée à facturer désormais la TPS-TVQ à ses clients. Par équité, la PME suppose que ses concurrents devront faire de même. Elle se dit toutefois incapable de récolter le montant de 1,3 million non réclamé dans le passé.

Citagenix ne serait pas la seule à subir les foudres du fisc. «Revenu Québec veut traquer les fraudeurs et nous sommes tout à fait d'accord avec cet objectif. Mais dans la pratique, les vérificateurs appliquent la loi de façon rigide, et plusieurs entreprises honnêtes en subissent les contrecoups», nous dit un fiscaliste.

Citagenix va peut-être pouvoir contester devant les tribunaux, si elle parvient à reporter le paiement de 1,3 million. Elle va peut-être gagner et peut-être survivre. Mais en bout de piste, le fisc et le gouvernement auront-ils vraiment rempli leur mission?

En fin de journée hier, Revenu Québec nous écrivait que la cotisation est conforme et qu'aucune disposition ne permet de détaxer la fourniture d'os et de tendons humains.