Hier matin, Le Journal de Montréal faisait état des primes versées aux employés d'Hydro-Québec et à son PDG, Thierry Vandal. «4075$ par employé», affirmait l'article de l'agence QMI (Québecor Média inc.).

Quelques heures plus tard, Hydro-Québec annonçait la nomination de l'actionnaire très majoritaire de Québecor, Pierre Karl Péladeau, au poste de président du conseil de la société d'État.

Visiblement, quelque chose cloche. Avec cette nomination, comment les médias de Québecor pourront-ils prétendre à l'indépendance journalistique vis-à-vis d'Hydro-Québec? Et inversement, ne doit-on pas craindre que Le Journal de Montréal et TVA bénéficient de tuyaux de celui qu'on appelle PKP sur la gestion d'Hydro?

Prenons l'exemple d'un bogue majeur chez Hydro-Québec, une nouvelle crise de la pluie verglaçante. En lisant, on ne pourra s'empêcher de penser que le journal se garde une réserve dans sa critique des événements. Et plus largement que les médias de Québecor se feront moins incisifs dans leur couverture du gouvernement péquiste.

Le doute sera d'autant plus grand que PKP a la réputation d'être très interventionniste auprès de ses employés, de faire de la «micro-gestion».

Certes, PKP ne sera plus, à partir du 8 mai, PDG de Québecor, mais seulement président du conseil d'administration de Québecor Media et de TVA et le vice-président du conseil de Québecor inc. Il reste que l'homme conservera 73% des droits de vote de Québecor inc. - l'entreprise en Bourse - et qu'il garde la réputation d'être contrôlant.

La nomination préoccupe la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). «La première ministre du Québec, Pauline Marois, aurait dû chercher ailleurs que dans les rangs des patrons de presse pour pourvoir ce poste. S'il avait fallu que l'ex-premier ministre, Jean Charest, nomme Paul Desmarais, jr. à la tête d'Hydro-Québec, le monde journalistique aurait été tout aussi inquiet, et à raison», a dénoncé Brian Myles, président de la FPJQ.

La publicité

La possibilité de conflit d'intérêts n'est pas que rédactionnelle. Elle touche également l'imposant budget de publicité d'Hydro-Québec, qui a varié entre 6 et 17 millions ces dernières années.

À cet égard, Hydro pourrait-elle avoir tendance à favoriser les médias de Québecor? Ou plus simplement, PKP pourrait-il influencer le plan de communication d'Hydro de sorte que Radio-Canada, par exemple, y perde au change? Le simple fait d'avoir des doutes est malsain.

L'expert des questions de gouvernance Michel Magnan, de l'Université Concordia, va plus loin. Selon lui, les liens étroits entre Péladeau et le gouvernement Marois soulèvent des questions sur l'ensemble des budgets de publicité du gouvernement et des sociétés d'État (Loto-Québec, la SAQ, etc.).

Chez Hydro comme ailleurs, Michel Magnan rappelle qu'un président de conseil d'administration doit être indépendant de la direction de l'entreprise, mais également imperméable aux pressions politiques. Or, PKP construit actuellement un amphithéâtre à Québec grâce aux généreuses subventions du gouvernement, une saga qui a fait éclater le PQ, en juin 2011.

«Pierre Karl Péladeau connaît bien les affaires, mais c'est loin d'être un expert en gouvernance. Il y a des risques qu'il veuille intervenir dans la gestion quotidienne de l'entreprise, comme c'est aussi souvent le cas des ex-PDG qui deviennent présidents de conseil d'une organisation», dit le prof de comptabilité, qui trouve la nomination surprenante.

Rendons tout de même à César ce qui lui revient. Dans certains cas, PKP a su redresser des situations difficiles et impopulaires, comme ce fut le cas avec Vidéotron. Et il faut admettre qu'Hydro peut faire plus pour contribuer au déficit zéro du gouvernement, pendant que d'autres organismes se saignent à blanc pour boucler leur budget. Entre autres, le régime de retraite d'Hydro-Québec est l'un des plus généreux du Canada, une anomalie. PKP pourra «brasser la cage», croit François Legault.

Qu'un gouvernement fasse des nominations partisanes dans certains postes est incontournable dans notre système. Mais qu'il mette un homme avec autant de pouvoirs et d'influence à la tête de notre plus importante société d'État n'est pas une bonne décision. N'en déplaise aux partisans, elle ouvre trop grande la porte aux possibilités de conflits d'intérêts, même si le PQ promet une «muraille de Chine».