Un déficit zéro à Québec cette année? Pas vraiment. Tel un magicien, le gouvernement obtiendra zéro, mais la réalité financière diffère. L'écart n'est pas marginal: en comptabilisant différemment deux éléments, le déficit pourrait facilement augmenter de 2 milliards. Voici la chronique sur le second élément, le premier ayant fait l'objet d'une analyse jeudi.

Le combat vers le déficit zéro au Québec est nécessaire, mais fort douloureux. Aussi, quand une dépense exceptionnelle survient, il est compréhensible que le gouvernement adopte une loi spéciale pour ne pas en tenir compte dans son calcul du déficit zéro.

La centrale nucléaire Gentilly-2 entre exactement dans cette catégorie. Sa fermeture entraîne une dépense unique de 1,8 milliard de dollars. En l'incluant, les équilibres financiers ne traduiraient pas fidèlement la gestion courante des affaires de l'État. Le gouvernement péquiste a donc déposé un projet de loi qui propose de l'exclure du calcul du déficit zéro, ce qui est tout à fait justifié.

En toute équité, cependant, on devrait s'attendre au même traitement pour des revenus exceptionnels. Leur inclusion dans le déficit zéro dénature tout autant les équilibres financiers. Or, ce n'est clairement pas ce que fait le gouvernement avec les revenus exceptionnels tirés de l'harmonisation de la TVQ et de la TPS.

On ne parle pas de peccadilles. Au cours de l'année financière 2013-2014 qui commence le 1er avril (lundi), Québec recevra 1,47 milliard du fédéral, soit les deux tiers des 2,2 milliards promis par Ottawa en septembre 2011.

Cette somme de 1,47 milliard est pratiquement égale au déficit de l'année qui se termine, de 1,5 milliard. Autrement dit, Québec réussit essentiellement à réduire son déficit de 1,5 milliard à zéro grâce aux fonds d'Ottawa. Le déficit sera à zéro, certes, mais ce n'est pas le zéro qu'on espérait, soit l'équilibre entre les revenus et les dépenses récurrentes.

Qu'on se comprenne bien, le Québec a tout à fait droit à cet argent. Ottawa a promis de lui verser cette somme pour éponger les coûts d'implantation et d'harmonisation de la taxe unifiée. Pour l'essentiel, ces coûts n'ont pas été engendrés lorsque les deux taxes ont été fusionnées, en 2013, mais il y a 20 ans, lorsque le Québec a adopté une taxe sur la valeur ajoutée semblable à celle d'Ottawa, devenue la TVQ.

Québec a insisté auprès d'Ottawa en 2010 lorsque l'Ontario et la Colombie-Britannique ont obtenu une compensation du fédéral pour leur nouvelle taxe sur la valeur ajoutée. Québec n'avait jamais eu droit à cette compensation.

Le versement des 2,2 milliards au Québec a été scindé en deux. La première tranche, de 733 millions, a été versée au début de 2013. La seconde, de 1,47 milliard, le sera au cours de l'année 2013-2014 qui commence lundi.

Idéalement, le gouvernement aurait dû utiliser une bonne partie de ces 2,2 milliards pour réduire directement sa dette, puisque la TVQ a été implantée il y a plusieurs années. Il aurait pu, en outre, étaler la somme sur plusieurs années pour amoindrir son effet sur les équilibres budgétaires. Le gouvernement, qu'il soit libéral ou péquiste, n'a toutefois pas choisi cette voie et il n'adoptera pas non plus de loi pour exclure ces revenus exceptionnels de son déficit zéro.

Une devinette maintenant: qu'arrivera-t-il durant l'année qui suivra l'atteinte du déficit zéro, en 2014-2015, lorsque tout l'argent d'Ottawa aura été dépensé? Eurêka, vous avez trouvé: le Québec aura un gros trou à combler.

De fait, dans ses documents budgétaires, le gouvernement a inscrit des coupes additionnelles de quelque 1,2 milliard pour 2014-2015, en plus d'un trou à résorber de 430 millions, ce qui nous ramène à la case départ.

Ces coupes seront nécessaires même si le gouvernement empochera d'autres revenus exceptionnels d'Ottawa, cette fois tirés de la péréquation. En effet, les recettes de péréquation bondiront de 783 millions en 2014-2015. Environ la moitié de cette hausse s'explique par l'appauvrissement relatif du Québec attribuable à la baisse draconienne du dividende d'Hydro-Québec, qui s'explique par... la fermeture de Gentilly-2.

Les comptables du gouvernement ne sont pas malhonnêtes ou incompétents. On ne parle pas de magouille comptable ou de collusion Charbonneau. Au contraire, ils sont très brillants et leur réputation dépasse les frontières du Québec. Seulement, à la demande des politiciens, ils se battent pour avoir un déficit zéro et ils font tout pour y parvenir, avec certaines conséquences indésirables.

Ne serait-il pas plutôt préférable de donner l'heure juste aux Québécois? De dresser un portrait plus équitable des finances de l'État? Et ce faisant, d'obliger les élus et les électeurs à prendre des décisions difficiles plutôt que de couper toujours un peu plus de façon horizontale, c'est-à-dire sans faire de réels choix sur les programmes à conserver et ceux à oublier?